Chaque année, la section Un Certain Regard du Festival de Cannes ouvre une fenêtre singulière sur des formes nouvelles, des voix naissantes ou marginales, et des territoires de cinéma peu explorés. Pour cette 78e édition du Festival, qui se tiendra du 13 au 24 mai 2025, le Jury de cette section aura pour mission d’accompagner et de récompenser les œuvres les plus audacieuses et prometteuses d’un panorama international. Vingt films sont en lice cette année, dont neuf premiers longs métrages, preuve qu’Un Certain Regard reste fidèle à son ambition fondatrice : célébrer la découverte, l’expérimentation, la jeunesse.
Pour conduire ce jury, le Festival a choisi une cinéaste au parcours fulgurant, qui connaît intimement la section pour y avoir fait ses débuts. La réalisatrice, scénariste et directrice de la photographie britannique Molly Manning Walker présidera cette année le Jury Un Certain Regard, moins de deux ans après y avoir été couronnée pour son premier long métrage How to Have Sex. À ses côtés, quatre personnalités issues d’horizons très variés composeront un jury à la fois jeune, pluriel et engagé : la réalisatrice franco-suisse Louise Courvoisier, la directrice croate du Festival de Rotterdam Vanja Kaludjercic, le cinéaste italien Roberto Minervini, et l’acteur argentin Nahuel Pérez Biscayart.
Une présidente dont la trajectoire est née à Cannes
Le parcours de Molly Manning Walker semble avoir été façonné en partie par Cannes. En 2020 déjà, elle présentait Good Thanks, You? à la Semaine de la Critique, un court métrage poignant sur le parcours administratif d’une victime de violence sexuelle. Trois ans plus tard, elle accédait à la reconnaissance internationale avec son premier long métrage How to Have Sex, Prix Un Certain Regard en 2023. Ce récit troublant sur le consentement à l’adolescence, d’une justesse remarquable, l’impose alors comme une voix essentielle du cinéma britannique. La même année, elle signe aussi la photographie de Scrapper de Charlotte Regan, un autre premier film remarqué, présenté à Sundance et nommé aux BAFTA. Alternant entre réalisation et direction photo, elle travaille actuellement sur sa propre série télévisée avec A24, et développe un nouveau long métrage avec Plan B, la société de production de Brad Pitt.
De retour à Cannes en tant que Présidente du Jury Un Certain Regard, Molly Manning Walker confie dans un communiqué :
« C’est un grand honneur de revenir à Cannes en tant que Présidente du Jury Un Certain Regard. Cette sélection occupera toujours une place particulière dans mon cœur. En faire partie a vraiment changé mon monde. J’ai hâte de découvrir ces films à l’épicentre du nouveau cinéma. Aujourd’hui plus que jamais, j’ai le sentiment que le cinéma est essentiel pour nous rassembler et nous permettre de ressentir, nous connecter les uns aux autres. Pour nous échapper, nous émerveiller et apprendre à nous connaître. Je suis impatiente de faire ce voyage avec les autres membres du Jury, car je sais que ce sera une sacrée aventure que de s’évader dans les univers de ces cinéastes. »
Louise Courvoisier, le regard tendre d’un premier film remarqué
Parmi les membres du Jury, la réalisatrice Louise Courvoisier représente une autre révélation récente de Un Certain Regard. En 2024, son premier long métrage Vingt Dieux séduit la section et remporte le Prix de la Jeunesse. Ce film lumineux, centré sur un jeune fromager amoureux, émeut par sa tendresse, son humour et son attachement aux personnages ordinaires. Ancienne élève de La Fémis, Louise Courvoisier s’était déjà illustrée en 2019 avec son court métrage Mano a Mano, l’histoire d’un couple d’acrobates, qui lui vaut le Premier Prix de la Cinéfondation. Issue d’un univers familial où cohabitent l’art et la terre — des « artistes-agriculteurs » — elle construit un cinéma à la fois enraciné et sensible, inspiré par son environnement immédiat. Elle est actuellement en écriture de son deuxième long métrage.
Vanja Kaludjercic, la stratégie d’une visionnaire
À la direction du Festival international du film de Rotterdam (IFFR) depuis 2020, Vanja Kaludjercic joue un rôle crucial dans la redéfinition de ce rendez-vous emblématique du cinéma d’auteur mondial. Elle y a renforcé les ponts entre l’innovation technologique et les pratiques immersives, tout en conservant une ligne éditoriale radicale. Forte d’une expérience de plus de vingt ans dans le secteur, elle a contribué à plusieurs festivals européens, notamment Sarajevo et le Festival néerlandais du film, et a travaillé au sein de plateformes comme MUBI et Coproduction Office. Son regard sur le cinéma mêle connaissance du marché, exigence artistique et ouverture aux nouvelles formes narratives.
Roberto Minervini, une fiction enracinée dans le réel
Installé depuis plus de vingt ans aux États-Unis, Roberto Minervini est un cinéaste italien dont le travail brouille les frontières entre documentaire et fiction. En 2024, il présentait Les Damnés à Un Certain Regard, un drame âpre et saisissant sur la guerre de Sécession, récompensé du Prix de la meilleure réalisation (ex-aequo). Son cinéma, ancré dans les marges américaines, donne à voir des récits invisibles, souvent habités par des figures blessées ou résistantes. The Other Side (2015), What You Gonna Do When the World’s on Fire? (2018), Le Cœur battant (2013) — tous montrés à Cannes dans diverses sections — témoignent de cette volonté de filmer l’ombre, dans un geste esthétique à la fois documentaire et poétique. Minervini développe actuellement deux projets de fiction.
Nahuel Pérez Biscayart, l’acteur de tous les engagements
C’est avec le rôle bouleversant de Sean, militant d’Act Up-Paris dans 120 Battements par minute de Robin Campillo, que Nahuel Pérez Biscayart s’impose sur la scène internationale. Le film, Grand Prix du Jury à Cannes en 2017, révèle un comédien d’une intensité rare. La même année, il tourne dans Au revoir là-haut d’Albert Dupontel. Depuis, il construit une carrière à la fois exigeante et diversifiée, entre productions européennes (Les Leçons persanes, La Fille de son père, Les Gens d’à côté) et expériences plus expérimentales. Il est aussi très actif au théâtre, aussi bien à Paris qu’à New York, notamment avec le Wooster Group de Willem Dafoe et sous la direction d’Ivo van Hove. En 2024, on le retrouve dans El Jockey de Luis Ortega. Artiste engagé, discret et profondément habité par ses rôles, il apporte au jury une sensibilité d’interprète tournée vers l’humain.
Une section fidèle à son esprit
En 2024, c’est Black Dog de Guan Hu qui avait remporté le Prix Un Certain Regard, sous la présidence de Xavier Dolan. Cette année, le jury devra départager vingt films, dont près de la moitié sont des premiers longs métrages. La parité, la diversité géographique, l’expérimentation formelle ou l’engagement social figurent parmi les critères qui reviennent régulièrement dans les débats autour de cette sélection. Il sera intéressant d’observer comment ce nouveau jury — composé de jeunes créateurs et de programmateurs aguerris, de cinéastes issus de tous les continents — s’emparera de la mission de repérer ce que le cinéma mondial a de plus vivant, de plus risqué, de plus inattendu.
Une ouverture tunisienne : Promis le ciel d’Erige Sehiri
La section Un Certain Regard s’ouvrira cette année sur une œuvre très attendue : Promis le ciel de la réalisatrice tunisienne Erige Sehiri, projeté en ouverture le mercredi 14 mai 2025. Trois ans après Sous les figues, présenté à la Quinzaine des cinéastes en 2022, Erige Sehiri revient à Cannes avec un nouveau long métrage qui prolonge son exploration du lien entre générations, du travail agricole et des émotions suspendues dans le quotidien. C’est la première fois qu’un film tunisien ouvre cette section, et la présence d’Erige Sehiri s’inscrit dans une dynamique plus large d’émergence du cinéma arabe dans les sélections cannoises. Cette ouverture revêt donc une portée symbolique forte, tout en annonçant une sélection 2025 particulièrement riche.
Rendez-vous au 78e Festival de Cannes
Le palmarès de la section Un Certain Regard sera dévoilé avant la clôture du Festival, le 23 mai 2025. En attendant, c’est un voyage à travers les images du monde qui attend les jurés, et à travers leurs choix, une photographie de l’avenir du cinéma qui se dessinera, une fois encore, sur la Croisette.
Neïla Driss