Dans quelques jours, le rideau se lèvera sur la 78e édition du Festival de Cannes, qui s’annonce à nouveau comme un grand rendez-vous du cinéma mondial. Cette année encore, la compétition officielle mêle des cinéastes confirmés, plusieurs anciens lauréats, et de nouvelles voix dont les œuvres seront scrutées avec attention sur la Croisette. À travers les vingt-deux films sélectionnés, les thématiques s’avèrent sombres, introspectives, parfois politiques, souvent intimes.
Parmi les éléments marquants de cette sélection, on retrouve le retour en compétition de plusieurs figures majeures du cinéma d’auteur contemporain. Julia Ducournau revient ainsi à Cannes après avoir remporté la Palme d’or en 2021 avec Titane. Elle était alors devenue la deuxième femme réalisatrice à obtenir cette distinction, après Jane Campion en 1993. Son nouveau film, Alpha, continue d’explorer les marges et la corporalité, à travers le personnage d’une adolescente rebelle. Son retour suscite une vive attente, tant Titane avait marqué les esprits.
Autres habitués du festival, Jean-Pierre et Luc Dardenne présentent Jeunes mères, dans lequel ils abordent le destin de cinq adolescentes hébergées dans une maison maternelle. Les frères belges, qui ont déjà remporté deux Palmes d’or (Rosetta, 1999 et L’Enfant, 2005), sont régulièrement présents à Cannes et ont même reçu un prix exceptionnel du 75e anniversaire en 2022. Leur fidélité au festival s’accompagne d’une constance thématique : leur cinéma social et humaniste reste profondément ancré dans le réel.
Wes Anderson, lui aussi très attaché à la Croisette, revient avec The Phoenician Scheme, un film d’espionnage à la tonalité plus sombre que ses précédents opus. Il avait déjà ouvert le festival en 2021 avec The French Dispatch, présenté également en compétition. Cette année, il semble opérer un virage plus dramatique, explorant la trahison et les tensions familiales.
Jafar Panahi, cinéaste iranien majeur, est un habitué du festival malgré les obstacles politiques. Son dernier film Un simple accident prend une résonance particulière dans un contexte où il continue à tourner clandestinement. Panahi a remporté à Cannes plusieurs prix au fil des années : en 1995, il a obtenu la Caméra d’or pour Le ballon blanc ; en 2003, il a reçu le Prix du Jury d’Un Certain Regard pour Sang et or ; et en 2018, il a été récompensé du Prix du meilleur scénario pour Trois visages. Panahi reste une figure de résistance du cinéma iranien, filmant l’absurde et le tragique d’un quotidien entravé.
Le cinéaste iranien Saeed Roustaee s’est imposé comme l’un des plus grands talents de sa génération dès son premier long métrage, Life and a Day (2016), chronique familiale bouleversante sur une fratrie déchirée par la pauvreté et les non-dits. Le film, multiprimé en Iran, révélait un jeune auteur au style tendu et au sens aigu du drame social. Trois ans plus tard, il signait La Loi de Téhéran (2019), un thriller sur fond de guerre contre la drogue, à la mise en scène explosive, qui confirmait son talent tout en installant une critique implacable des institutions iraniennes. En 2022, Leila et ses frères, présenté en compétition à Cannes, explorait à nouveau le poids des structures familiales et sociales, dans un récit ample et bouleversant. Ce film, censuré en Iran, lui a valu une reconnaissance internationale. Son nouveau long métrage, Mother and Child, aborde cette fois le deuil et la résilience, à travers le regard d’une mère célibataire. Mais comme toujours chez Roustaee, l’intime dialogue avec le politique, et la tragédie individuelle renvoie à l’état d’une société sous pression.
Chez les cinéastes arabes, la franco-tunisienne Hafsia Herzi accède pour la première fois à la compétition officielle avec La petite dernière. Révélée comme actrice dans La Graine et le mulet d’Abdellatif Kechiche, elle poursuit depuis quelques années une carrière de réalisatrice affirmée. Son film précédent, Bonne mère, avait été présenté à Un certain regard en 2021 et avait remporté le Prix d’ensemble. Son entrée dans la compétition principale constitue une reconnaissance supplémentaire pour cette voix singulière du cinéma français.
Autre film arabe très attendu, Les Aigles de la République de Tarik Saleh, réalisateur suédo-égyptien. Il avait marqué Cannes en 2022 avec Boy from Heaven, récompensé du Prix du scénario. Cette fois, il s’intéresse à un acteur égyptien, contraint d’accepter un rôle dans un contexte politique ambigu. La portée métaphorique de l’histoire, sur fond de censure et de compromission, s’annonce puissante.
Le réalisateur espagnol Dominik Moll, dont La Nuit du 12 avait connu un grand succès critique, explore cette fois les coulisses de la police des polices françaises dans Dossier 137. Quant à Oliver Laxe, il déplace son univers mystique en Afrique du Nord avec Sirat, un film centré sur une quête paternelle.
Enfin, plusieurs réalisateurs et réalisatrices accèdent à la compétition principale pour la première fois : Mascha Schilinski, Hayakawa Chie, Kleber Mendonça Filho (qui avait présenté Bacurau à Un certain regard), ou encore Ari Aster, qui quitte ses registres horrifiques pour aborder des tensions politiques dans une petite ville pendant la pandémie.
Ainsi se dessine une compétition marquée par les fidélités, les retours attendus, mais aussi l’émergence de nouveaux regards.
Voici la liste de tous les films en compétition, avec leurs synopsis :
- VALEUR SENTIMENTALE – Joachim TRIER
Agnès et Nora voient leur père débarquer après de longues années d’absence. Réalisateur de renom, il propose à Nora, comédienne de théâtre, de jouer dans son prochain film, mais celle-ci refuse avec défiance. Il propose alors son rôle à une jeune star hollywoodienne, ravivant les braises de souvenirs de famille douloureux…
- THE PHOENICIAN SCHEME – Wes Anderson
Une sombre histoire d’espionnage qui suit une relation père-fille tendue au sein d’une entreprise familiale. Les rebondissements tournent autour de la trahison et des choix moraux.
- EDDINGTON – Ari Aster
En mai 2020, durant la pandémie de Covid-19, à Eddington au Nouveau-Mexique, le shérif local Joe Cross s’oppose au maire Ted Garcia. Cela va déclencher une véritable poudrière dans la petite ville.
- JEUNES MÈRES – Jean-Pierre et Luc Dardenne
Jessica, Perla, Julie, Ariane et Naïma sont hébergées dans une maison maternelle qui les aide dans leur vie de jeune mère. Cinq adolescentes qui ont l’espoir de parvenir à une vie meilleure pour elles-mêmes et pour leur enfant.
- ALPHA – Julia Ducournau
Alpha, 13 ans, est une adolescente agitée qui vit seule avec sa mère. Leur monde s’écroule le jour où elle rentre de l’école avec un tatouage sur le bras.
- RENOIR – Hayakawa Chie
En 1987 à Tokyo, Fuki, une fillette sensible et fantasque de 11 ans, fait face à la maladie incurable de son père et à une mère épuisée par le travail, tout en croisant des adultes en proie à leurs propres drames.
- THE HISTORY OF SOUND – Oliver Hermanus
Pendant la Première Guerre mondiale, deux jeunes hommes ont entrepris d’enregistrer la vie, les voix et la musique de leurs compatriotes américains.
- LA PETITE DERNIÈRE – Hafsia Herzi
Quand Fatima quitte sa famille soudée de banlieue pour étudier la philosophie à Paris, elle se retrouve tiraillée entre son éducation religieuse et la liberté de la vie étudiante.
- SIRAT – Oliver Laxe
Un père, accompagné de son fils, part à la recherche de sa fille disparue en Afrique du Nord.
- NOUVELLE VAGUE – Richard Linklater
Ceci est l’histoire de Godard tournant À bout de souffle, racontée dans le style et l’esprit de Godard tournant À bout de souffle.
- DEUX PROCUREURS – Sergei Loznitsa
1937 : lorsqu’une lettre d’un prisonnier échappe à la destruction, le procureur idéaliste Kornev découvre la corruption du NKVD. Sa quête de justice dans l’URSS stalinienne devient un voyage périlleux au cœur d’un système qui dévore les siens.
- FUORI – Mario Martone
Une écrivaine, incarcérée pour un acte aussi fou qu’imprévu, rencontre de jeunes détenues. Une fois libre, elle conserve avec elles un lien d’amitié indéfectible que personne ne peut vraiment comprendre.
- O SECRETO AGENTE (L’AGENT SECRET) – Kleber Mendonça Filho
En 1977, un expert en technologie fuit un passé mystérieux et retourne dans sa ville natale de Recife pour y trouver la paix. Mais la ville n’est pas le refuge qu’il espérait.
- DOSSIER 137 – Dominik Moll
Le dossier 137 semble banal pour Stéphanie, enquêtrice à l’IGPN. Mais un élément imprévu vient bouleverser l’affaire et transformer ce numéro de dossier en une révélation troublante.
- UN SIMPLE ACCIDENT – Jafar Panahi
Ce film explore les conséquences imprévues déclenchées par un accident mineur, posant des questions sur la chaîne d’événements qui lie les individus dans des situations critiques
- THE MASTERMIND – Kelly Reichardt
En 1970, Mooney et deux complices s’introduisent dans un musée en plein jour pour y voler quatre tableaux. Conserver les œuvres s’avère plus compliqué que les dérober, et Mooney entame une cavale sans fin.
- LES AIGLES DE LA RÉPUBLIQUE – Tarik Saleh
L’acteur le plus apprécié d’Égypte, George Fahmy, subit des pressions pour jouer le rôle principal dans un film. Il va accepter à contrecœur.
- SOUND OF FALLING – Mascha Schilinski
Dans une ferme allemande isolée, plusieurs générations de femmes, séparées par les décennies mais unies par le traumatisme, tentent de lever le voile sur les secrets enfouis entre ces murs rongés par le temps.
- ROMERÍA – Carla Simón
Afin d’obtenir un document d’état civil pour ses études supérieures, Marina, adoptée depuis l’enfance, doit renouer avec une partie de sa véritable famille. Guidée par le journal intime de sa mère qui ne l’a jamais quitté, elle se rend sur la côte atlantique et rencontre tout un pan de sa famille paternelle qu’elle ne connait pas. L’arrivée de Marina va faire ressurgir le passé. En ravivant le souvenir de ses parents, elle va découvrir les secrets de cette famille, les non-dits et les hontes…
- MOTHER AND CHILD, ZAN O BACHEH – Saeed Roustaee
Mère célibataire, Mahnaz jongle entre son travail d’infirmière et l’éducation de ses enfants. Alors qu’elle prépare son mariage avec Hamid, l’exclusion de son fils de l’école devient le cadet de ses soucis lorsqu’un drame inattendu la pousse à se battre pour ce qui est juste.
- DIE MY LOVE – Lynne Ramsay
Dans une région rurale isolée et oubliée, une mère lutte pour rester saine d’esprit alors qu’elle est atteinte de psychose.
- RESURRECTION – Bi Gan
Une femme s’est catapultée dans un futur post apocalyptique, où elle va chercher à réparer un homme mi robot, mi humain, en lui contant de manière métaphorique des pans de l’histoire chinoise. Elle devra par la suite choisir entre revenir au monde réel ou rester seule avec cet être bionique pour lequel elle commence à éprouver des sentiments.
Que le rideau s’ouvre donc sur cette nouvelle édition, avec son lot de promesses, d’émotions et de découvertes. Puissent les films de cette compétition — et tous ceux projetés à Cannes cette année — nous faire réfléchir, nous émerveiller, nous émouvoir ou nous bousculer, mais surtout nous relier les uns aux autres, dans ce lien unique que seul le cinéma peut tisser. Très bon festival à toutes et à tous, et surtout… que les films soient grands !
Neïla Driss