Créée en 1978 par Gilles Jacob, la section Un Certain Regard incarne depuis près d’un demi-siècle l’un des espaces les plus importants du Festival de Cannes. Pensée comme une vitrine complémentaire à la compétition officielle, elle accueille des œuvres aux sensibilités formelles singulières, aux récits marginaux ou aux gestes artistiques plus audacieux. Elle a longtemps été un terrain d’expérimentation où les cinéastes émergents croisent les auteurs confirmés désireux d’explorer de nouveaux territoires narratifs. Depuis 1998, la section décerne son propre palmarès, avec en tête le Prix Un Certain Regard, consolidant ainsi son statut de tremplin vers une reconnaissance internationale.
En 2025, cette ligne éditoriale s’affirme plus que jamais. Les films retenus racontent des trajectoires individuelles intenses, souvent ancrées dans des contextes sociaux tendus, entre crise politique, migration, solitude urbaine ou identités minorées. Ce sont des histoires de survie, de résistance intime, mais aussi de liens affectifs qui se tissent dans les interstices d’un monde souvent dur, instable, violent.
La sélection frappe aussi par l’ampleur de ses premiers films : sur vingt œuvres, neuf sont signés par de cinéastes qui font leurs débuts dans le long-métrage, et parfois issus de formations non traditionnelles. On y retrouve ainsi des regards neufs, parfois très jeunes, mais dont la maturité narrative surprend. À ce titre, les premiers longs de Scarlett Johansson, Kristen Stewart ou Harris Dickinson suscitent une curiosité certaine, mais ils côtoient à égalité ceux de jeunes cinéastes venus du Nigeria, de Tchéquie, d’Égypte ou du Royaume-Uni.
La diversité géographique est, en effet, l’autre grande force de cette édition : elle réunit des films d’Europe, d’Amérique latine, d’Asie, du monde arabe et d’Afrique, souvent en coproduction, avec une place importante accordée aux récits transnationaux. Cette dynamique s’incarne notamment dans les films tournés entre plusieurs pays ou abordant de front les questions de migration, d’exil ou de marginalisation identitaire.
Plusieurs œuvres puisent leur force dans un ancrage documentaire très fort, flirtant parfois avec l’hybridation ou l’onirisme. D’autres privilégient la fiction épurée, l’allégorie ou le réalisme cru. Certains récits s’ancrent dans des territoires spécifiques – désert chilien, banlieues indiennes, quartiers populaires du Caire ou rues de Gaza – pour en tirer des expériences profondément humaines, où le cinéma devient à la fois miroir et invention.
Cette année, le cinéma arabe y est particulièrement bien représenté avec trois titres : Promis le ciel de la Franco-Tunisienne Erige Sehiri, Aisha Can’t Fly Away du cinéaste égyptien Morad Mostafa et Once Upon a Time in Gaza des frères Nasser. Tous trois abordent, avec des styles très distincts, les questions de précarité, de migration, de conflit, mais aussi de sororité, d’amour et de désir d’ailleurs.
À travers cette mosaïque d’œuvres, Un Certain Regard confirme en 2025 sa vocation première : faire résonner des voix singulières, faire émerger des esthétiques nouvelles, et surtout, accueillir les fragilités du monde avec un regard cinématographique exigeant et profondément humain.
Il est important de noter que pour la première fois, un film tunisien, Promis le ciel, est le film d’ouverture de cette section.
Ci-dessous les synopsis des films en compétition Un certain regard :
- PROMIS LE CIEL d’Erige Sehiri – France, Tunisie, Qatar
Marie, pasteure ivoirienne et ancienne journaliste, vit à Tunis. Elle héberge Naney, une jeune mère en quête d’un avenir meilleur, et Jolie, une étudiante déterminée qui porte les espoirs de sa famille restée au pays. Quand les trois femmes recueillent Kenza, 4 ans, rescapée d’un naufrage, leur refuge se transforme en famille recomposée tendre mais intranquille dans un climat social de plus en plus préoccupant.
- LA MISTERIOSA MIRADA DEL FLAMENCO (THE MYSTERIOUS GAZE OF THE FLAMINGO) de Diego Céspedes (1er film) – Chili, France, Allemagne, Espagne, Belgique
Début des années 1980, dans le désert chilien. Lidia, 11 ans, grandit au sein d’une famille queer flamboyante et aimante, qui a trouvé refuge dans un cabaret, aux abords d’une ville minière rude et poussiéreuse. Quand une mystérieuse maladie mortelle commence à se propager – une rumeur affirme qu’elle se transmet par un simple regard, lorsqu’un homme tombe amoureux d’un autre – la communauté devient rapidement la cible des peurs et fantasmes collectifs. Dans ce western moderne, Lidia se lance dans une quête de vengeance dans un monde rongé par la haine et l’intolérance. Sa famille devient son unique refuge, et l’amour, peut-être, le plus grand des dangers.
- MÉTÉORS d’Hubert Charuel – France
Diagonale du vide. Trois amis de longue date. Tony est devenu le roi du BTP, Mika et Dan les rois de rien du tout. Ils ont beaucoup de rêves et pas beaucoup de chance. Après un nouveau plan raté, ils doivent bosser pour Tony dans une poubelle nucléaire. Jusqu’ici tout va mal…
- MY FATHER’S SHADOW d’Akinola Davies Jr (1er film) – Royaume-Uni, Nigéria
My Father’s Shadow est un récit semi-autobiographique se déroulant sur une seule journée dans la capitale nigériane, Lagos, pendant la crise électorale de 1993.
Un père tente de guider ses deux jeunes fils à travers l’immense ville alors que des troubles politiques menacent.
- L’INCONNU DE LA GRANDE ARCHE de Stéphane Demoustier – France, Danemark
1982. François Mitterrand lance un concours d’architecture anonyme sans précédent pour la construction d’un édifice emblématique dans l’axe du Louvre et de l’Arc de Triomphe. A la surprise générale, c’est un architecte danois de 53 ans, inconnu en France, qui l’emporte. Du jour au lendemain, Johan Otto von Spreckelsen est propulsé à la tête du plus grand chantier de l’époque. Et s’il entend bâtir sa Grande Arche telle qu’il l’a imaginée, ses idées vont très vite se heurter à la complexité du réel et aux aléas de la politique.
- URCHIN d’Harris Dickinson (1er film) – Royaume-Uni
À Londres, Mike vit dans la rue, il va de petits boulots en larcins, jusqu’au jour où il se fait incarcérer.
À sa sortie de prison, aidé par les services sociaux, il tente de reprendre sa vie en main en combattant ses vieux démons.
- HOMEBOUND de Neeraj Ghaywan – Inde
Dans un village du nord de l’Inde, deux amis d’enfance tentent de passer le concours de police nationale, un métier qui pourrait leur offrir la dignité qu’ils n’osent espérer. Alors qu’ils touchent du doigt leur rêve, le lien précieux qui les unit est menacé par leurs désillusions…
- ELEANOR THE GREAT de Scarlett Johansson (1er film) – États-Unis
Dans Eleanor the Great, June Squibb campe avec brio Eleanor Morgenstein, 94 ans, pleine d’esprit et farouchement indépendante. Après avoir vécu un deuil très éprouvant, elle invente un mensonge dont les conséquences se mettent dangereusement à lui échapper.
Le premier long métrage de Scarlett Johansson comme réalisatrice est une comédie dramatique, tour à tour drôle et poignante, qui raconte qu’on finit par s’approprier les histoires dont on entend parler autour de soi…
- CARAVAN de Zuzana Kirchnerová (1er film) – République Tchèque, Slovaquie, Italie
Ester vient d’avoir 45 ans et n’a rien d’autre à faire dans sa vie que de s’occuper de son fils David (15 ans), gravement handicapé mental. David ne peut pas parler et a besoin d’une attention constante. Ester l’aime profondément, mais elle est épuisée par la routine et la charge de se débrouiller seule. Des amis en Italie l’invitent à leur rendre visite, mais lorsqu’ils constatent que le comportement imprévisible de David pose des problèmes, ils leur demandent de séjourner dans une caravane dans le jardin. Pour Ester, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Elle ne veut plus se sentir comme un fardeau. La nuit venue, elle démarre la caravane et s’en va. Au cours d’un voyage à travers l’Italie, qui va changer leur vie, et grâce aux personnes qu’ils rencontrent, en particulier Zuza (29 ans), leur compagnon amusant et le premier amour de David, Ester réalise qu’elle peut être plus qu’une simple mère et qu’elle peut vivre une vie meilleure.
- PILLION d’Harry Lighton (1er film) – Royaume uni
Colin, un jeune homme introverti, rencontre Ray, le séduisant et charismatique leader d’un club de motards. Ray l’introduit dans sa communauté et fait de lui son soumis.
- AISHA CAN’T FLY AWAY de Morad Mostafa (1er film) – Égypte, Soudan, Tunisie, Arabie Saoudite, Qatar, France, Allemagne
Aisha, aide-soignante soudanaise de 26 ans, vit dans un quartier au cœur du Caire, où elle est témoin des tensions entre les migrants africains et d’autres gangs locaux. Coincée entre une relation ambiguë avec un jeune cuisinier égyptien, un chantage douteux en échange de sa sécurité, et une nouvelle maison où elle est affectée, Aisha peine à faire face à ses peurs et défaites passées. Peu à peu son imaginaire vient troubler les frontières de cette réalité.
- ONCE UPON A TIME IN GAZA d’Arab et Tarzan Nasser – France, Palestine, Allemagne, Portugal
Il était une fois, à Gaza en 2007. Yahya, étudiant rêveur, se lie d’amitié avec Osama, dealer charismatique au grand cœur. Ensemble, ils montent un trafic de drogue, caché dans leur modeste échoppe de falafels. Mais ils croisent le chemin d’un flic corrompu venu contrarier leur plan.
- THE PLAGUE de Charlie Polinger (1er film) – Roumanie, États-Unis
Dans un camp de water-polo pour garçons, un adolescent de douze ans est marginalisé par ses camarades selon une tradition cruelle qui veut que l’un d’eux soit dit porteur d’une maladie qu’ils appellent « La Peste ». Alors que frontière entre le jeu et la réalité devient de plus en plus floue, il commence à craindre que la blague ne cache quelque chose de réel.
- LE CITTÀ DI PIANURA (UN DERNIER POUR LA ROUTE) de Francesco Sossai – Italie, Allemagne
Carlobianchi et Doriano, deux cinquantenaires fauchés, errent la nuit en voiture de bar en bar, obsédés par l’idée d’un dernier verre, lorsqu’ils croisent la route de Giulio, un étudiant en architecture aussi timide que naïf. Entre confidences et gueule de bois, cette rencontre inattendue avec ces deux mentors improbables va bouleverser la vision que Giulio porte sur le monde, l’amour… et son avenir.
- TESTA O CROCE? (HEADS OR TAILS?) de Matteo Zoppis, Alessio Rigo de Righi – Italie, États-Unis
À l’aube du XXe siècle, le Wild West Show de Buffalo Bill arrive en Italie, vendant le mythe de la frontière américaine et éveillant l’imagination de Rosa, une jeune femme piégée dans un mariage étouffant avec un puissant et violent propriétaire terrien. Lorsqu’un rodéo opposant cowboys américains et butteri italiens se termine en tragédie, Rosa s’enfuit avec Santino, l’audacieux cavalier local qui a vaincu les Américains. Mais dans un monde où la justice se vend au plus offrant, Buffalo Bill lui-même, parmi d’autres, se joint à la chasse à la prime lancée contre Santino. Le rêve de liberté de Rosa entre alors en collision frontale avec le poids de la réalité – et, comme dans toute bonne ballade de western, le destin finit par jouer sa pièce.
- LOVE ME TENDER d’Anna Cazenave Cambet – France
Une fin d’été, Clémence annonce à son ex-mari qu’elle a des histoires d’amour avec des femmes. Sa vie bascule lorsqu’il lui retire la garde de son fils. Clémence va devoir lutter pour rester mère, femme, libre.
- UN POETA de Simón Mesa Soto – Colombie, Allemagne, Suède
L’obsession d’Oscar Restrepo pour la poésie ne lui a pas apporté la gloire. Fantasque et vieillissant, il a succombé au cliché du poète maudit. La rencontre avec Yurlady, une adolescente aux origines modestes en qui il voit un potentiel grandissant, apporte un peu de lumière à son quotidien. Mais l’entraîner dans le monde des poètes n’est peut-être pas la meilleure voie à suivre.
- RISO E A FACA (LE RIRE ET LE COUTEAU) de Pedro PINHO – Portugal, France, Brésil, Roumanie
Sergio voyage dans une métropole d’Afrique de l’Ouest pour travailler comme ingénieur environnemental pour une ONG sur la construction d’une route entre le désert et la forêt. Il se lie à deux habitants de la ville, Diara et Gui, dans une relation intime mais déséquilibrée. Tandis que se déploient des dynamiques néo-coloniales au sein de la communauté expatriée, ce lien fragile devient son seul refuge face à un effondrement imminent dans la solitude ou la barbarie.
- TÔI YAMANAMINO HIKARI de Kei ISHIKAWA – Japon, Royaume-Uni, Pologne
Royaume-Uni, 1982. Une jeune anglo-japonaise entreprend d’écrire un livre sur la vie de sa mère, Etsuko, marquée par les années d’après-guerre à Nagasaki et hantée par le suicide de sa fille aînée. Etsuko commence le récit de ses souvenirs trente ans plus tôt, lors de sa première grossesse, quand elle se lia d’amitié avec la plus solitaire de ses voisines, Sachiko, une jeune veuve qui élevait seule sa fille. Au fil des discussions, l’écrivaine remarque une certaine discordance dans les souvenirs de sa mère… les fantômes de son passé semblent toujours là – silencieux, mais tenaces.
- THE CHRONOLOGY OF WATER de Kristen Stewart (1er film) – France, Lettonie, États-Unis
Ayant grandi dans un environnement ravagé par la violence et l’alcool, Lidia, une jeune femme, peine à trouver sa voie. Elle parvient à fuir sa famille et entre à l’université, où elle trouve refuge dans la littérature. Peu à peu, les mots lui offrent une liberté inattendue… The Chronology of Water, adapté du best-seller autobiographique de Lidia Yuknavitch, explore la manière dont le traumatisme peut se transformer en art.
Neïla Driss
