Plus que quelques heures et seront annoncés les lauréats du 76ème Festival de Cannes. Les pronostics vont bon train, chacun donnant ses propres arguments et souhaitant que ses films favoris repartent avec une belle récompense.
Il est évident qu’un palmarès est tellement subjectif, que personne ne pourra deviner quels seront les heureux élus.
En 2021 par exemple, le film Titane était loin de toutes les prévisions, pourtant il était reparti avec la Palme d’Or, le président du jury, Spike Lee ayant adoré qu’on puisse imaginer une relation sexuelle entre une femme et une Cadillac.
Cette année, Ruben Östlund est président du jury, et Julia Ducournau en est membre. Ces deux réalisateurs, ayant remporté respectivement deux et une Palmes d’Or, sont des cinéastes un peu particuliers, dont les films sont loin d’être classiques. En fait, ils aiment tous les deux l’aventure. Donneront-ils donc la Palme d’Or à un film un peu « fou » ?
On peut l’espérer, parce que si tel est le cas, le film Les filles d’Olfa, réalisé par Kaouther Ben Hania aura toutes ces chances de repartir avec la Palme d’Or, ou à défaut le Grand Prix ou le Prix du jury. Cet hybride, entre le documentaire, la fiction et le making of, peut les séduire grâce à cette structure originale qui donne toute sa valeur à son message ou contenu. Les filles d’Olfa a d’ailleurs déjà séduit quatre jurys qui lui ont décerné le Prix du cinéma Positif, le Prix de la citoyenneté, L’Œil d’Or et le prix de la critique François Chaulais.
A mon avis, les films qui ont le plus de chances de partir avec les prestigieux trophées sont :
Rapito/L’enlèvement de Marco Bellocchio. Une très belle fresque historique, avec un très beau scénario, de beaux décors et costumes, une très belle réalisation. Son seul tort pourrait être son traitement classique, bien que en même temps moderne dans ces propos puisqu’à ce jour, certains pays sont encore sous une dictature religieuse.
The zone of interest de Jonathan Glazer. Très beau film, qui traite de la shoah sous un angle nouveau : les camps de concentration, coté nazi. On est juste de l’autre côté du mur d’un camp de concentration, on ne voit jamais les victimes, mais on est chez le commandant du camp, dont la famille profite de la situation, par exemple l’épouse a accès au butin récolté parmi les victimes, manteau en fourrure, diamants… Le mari organise la « solution finale », il reçoit chez lui des industriels qui lui soumettent un projet d’un four crématoire, ses supérieurs sont fiers de lui… Le réalisateur a très bien su rendre l’atmosphère glaçante : tout est propre, en ordre, l’abondance règne.. À l’opposé complètement de ce qu’on a l’habitude de voir coté victimes. Mais l’horreur, même si elle n’est jamais montrée, est palpable, et trouve son apogée à la fin du film lorsqu’on voit des employés nettoyer des vitrines où s’amassent des objets personnels ayant appartenu à ces victimes.
Anatomie d’une chute, réalisé par Justine Triet. Très beau film qui traite de problèmes de couple. Le procès est tellement réaliste qu’on se croirait dans la salle d’audience !
Fallen leaves de Aki Kaurismaki, qui séduit par son originalité et son humour à raconter deux solitudes qui se rencontrent.
Kuru Otlar Ustune/Les herbes sèches de Nuri Bilge Ceylan, très beau film, très belles photos, mais peutêtre un excès de bavardages.
Les films, qui à mon avis, ne mériteraient pas de figurer dans le palmarès :
L’été dernier de Catherine Breillat. Si le sujet est très intéressant, le scénario comporte toutefois quelques failles. Pourquoi estce que tout d’un coup, la belle-mère a couché avec son beau-fils ? Pourquoi lui aussi a eu cette envie ? Rien ne laissait présager cela, aucun regard, aucun geste… La fin est également étonnante. Personnellement le film ne m’a pas convaincue, et je suis très loin de tout jugement moral. Aucune émotion ne se dégage de ce film.
The Old Oak de Ken Loach. Un film très décevant, on est très loin de I, Daniel Black (2016) ou de Sorry we missed you (2019). Il était évident que Ken Loach ferait un film social, mais celuici est de trop. Discours très direct, aucune subtilité, aucune nuance dans les personnages, les gentils sont très gentils, les méchants sont très méchants, mais à la fin, tout est bien qui finit bien. Ce n’est pas convaincant, c’est même ennuyeux de prévisibilité.
Firebrand de Karim Ainouz est également une grande déception. Après son très très beau La Vie invisible d’Eurídice Gusmão (Prix Un certain regard en 2019) et son documentaire Marin des montagnes (2021), on pouvait s’attendre à un très beau film, mais rien. Une énième version de l’histoire d’Henri VIII et de ses épouses. Rien de nouveau, ni dans la narration ni dans la structure du film. Le seul attrait pourrait être juste Jude Law totalement méconnaissable justement en Henri VIII.
La passion de Dodin Bouffant de Tran Anh Hun, sympathique, plaisant à voir, un hommage à la gastronomie française, sans plus.
Je n’ai malheureusement pas pu voir Club Zero de Jessica Hausner, La Chimera de Alice Rohrwacher, Jeunesse de Wang Bing, Banele E Adama de RamataToulaye Sy et Perfect Days de Wim Wenders.
Ce qui est certain par contre, est qu’en Tunisie, et surement dans tout le monde arabe, nous serons très nombreux à attendre ce palmarès avec impatience et à espérer : une Palme d’Or pour un film arabe ?
Neïla Driss