Il est rare que calligraphes et artistes discutent ensemble de leurs démarches. Pourtant, les disciplines se métissent et ouvrent la voie à des démarches innovantes.
Il existe en Tunisie une école calligraphique maghrébine des plus réputées et des plus actives. D’ailleurs, les calligraphes tunisiens excellent dans tous les domaines du travail sur la lettre que ce soit dans le style farsi, diwani ou coufique.
De nombreux calligraphes sont ainsi rassemblés au sein du Centre national de la Calligraphie qui permet de poursuivre l’apprentissage et attire de nombreux jeunes que cet art inspire beaucoup. Installé dans la médina, ce centre placé sous la tutelle du ministère des Affaires culturelles, se trouve à la rue Al Monastiri.
L’école tunisienne de calligraphie continue ainsi sa progression et recèle de plus en plus d’innovateurs à l’image d’un Yassine Mtir ou bien d’un Yasser Jradi dont l’oeuvre musicale majeure fait oublier qu’il était un plasticien et un calligraphe accompli. De même, le regretté Taoufik Rais conjuguait son travail de cinéaste avec l’art de la calligraphie dont il a été l’un des maitres contemporains.
Chez les plasticiens, la lettre est souvent au cœur de leur démarche. Il suffit de songer aux travaux de Abdelmajid Bekri, Amel Zaiem ou Raouf Gara pour retrouver les germes d’une réflexion sur la lettre et l’image.
Dans cette optique, Nja Mahdaoui est l’un de ceux qui ont révolutionné le rapport des artistes à la lettre. L’œuvre de cet artiste, tout en s’inspirant d’une confluence entre la lettre et l’arabesque, débouche sur un univers particulier qui est aussi celui de certains calligraphes innovateurs à l’image d’un Messaoudi ou d’un Naceur Khmir.
De même, Sleh Hamzaoui est l’un de ceux qui, dans la foulée des Autodidactes des années 1970, a investi ce champ artistique, produisant un ouvrage de référence intitulé « Alif, le banquet des Lettres ». Ce livre est un travail de distorsion de la lettre ainsi qu’une ouverture vers la plasticité pure et simple de l’alphabet arabe.
En ce sens, il est remarquable de constater que les sculpteurs aussi se sont emparés de la lettre arabe pour lui donner une troisième dimension tout en l’utilisant pour motif ornemental dans un art monumental contemporain qui cherche son inspiration du côté du patrimoine.
Au-delà, la question récurrente de la représentation en Islam se posera naturellement dans ce débat qui devrait être passionnant et ouvrir des perspectives alternatives dans le rapport entre calligraphes et artistes plasticiens.
Une lecture paresseuse de l’œuvre des calligraphes les confine aux frontières de l’art. Pourtant, leur fonction artistique et leurs recherches novatrices les placent à la pointe des univers plastiques. Par contre, trop souvent, les calligraphes se contentent de reproduire, imiter, fixer selon des canons immuables.
C’est cette attitude qui est source de malentendu sur leur vocation artistique. En effet, certains artistes voient en eux seulement les tenants d’une tradition figée et considèrent que seule la pratique plastique est à même de donner de nouveaux champs à une calligraphie en mal de modernité.