Cette lettre est apocryphe, une parfaite fiction qui s’inspire toutefois des pensées qui pourraient passer par l’esprit d’un émir outré, fâché et déçu par ses affidés.
De passage dans un pays étranger qu’il croyait devenu sa succursale, cet émir a bu son vin jusqu’à la lie, avalé quelques couleuvres inattendues puis, piteux et ulcéré, pris le chemin du retour.
Voici le brouillon d’une lettre qu’il songe à envoyer à ses protégés pour leur tirer un tant soit peu les oreilles et les rappeler à l’ordre.
Toute ressemblance avec une personne clairement identifiée serait fortuite et toute personne qui se reconnaîtrait dans l’énoncé de ces propos ne pourrait s’en prendre qu’à elle-même.
« Rendez-moi mon argent, tout mon argent! Cela fait plusieurs années que je vous arrose sans compter et vous n’êtes même pas capable de tenir vos engagements.
En 2012, les choses avaient une autre saveur et les émirs qui comptent avaient alors été accueillis à bras ouverts et non pas comme des anonymes ou des comparses.
Comment se fait-il que nous ayons reçu le même accueil que tous les autres? Ne sommes-nous pas des privilégiés dans ce pays que nous finançons généreusement à travers vous?
Et pourtant vous aviez clairement affirmé que tout était sous contrôle. C’est ce que vous aviez dit lorsque nous vous avons servi une dernière et récente rallonge.
Vous aviez dit que vous étiez le marionnettiste suprême et que vous teniez le président et tous les autres par la barbichette.
Et pourtant, le voilà qui s’exprime librement, sans génuflexion pour ma sollicitude! Le voilà même qui invite qui il veut alors qu’il était prévu que tout serait fait pour que certains de nos opposants ne fassent pas le voyage.
Et c’est quoi ce peuple tunisien? Serait-il plus irréductible que les Gaulois? Nous y avons mis le prix et vous nous avez assuré de la reconnaissance des Tunisiens à notre égard.
Pourtant nous n’avons entendu que des quolibets et la rue tunisienne ne semble pas nous être aussi favorable que vous le prétendez.
Mais qu’avez-vous fait de tout l’argent qui vous a été remis? On dirait qu’aucun des objectifs n’a été atteint. Cela ne pourra pas continuer de la sorte.
Vous nous aviez garanti que la Tunisie serait notre Protectorat tant que vous serez au pouvoir et notre argent devrait faire en sorte que vous y restiez éternellement.
Cette fois-ci, la coupe est pleine. Soit vous remboursez soit vous faites le job correctement. C’est tout de même incroyable que d’autres émirs qui nous mènent la vie dure se pavanent chez vous alors que vous affirmez que tout est sous contrôle.
C’est tout aussi inacceptable de voir des leaders qui ne sont pas des nôtres être reçus en libérateurs alors que c’est nous qui faisons les sacrifices et sommes les vrais démocrates.
De quelle Renaissance parlez-vous? Et de quelle manière défendez-vous nos intérêts?
Je suis de plus en plus sceptique et ce ne sont pas des caillassages d’opposants qui vont me convaincre que les choses bougent dans le bon sens.
Je vous laisse une dernière chance de revoir votre copie. La prochaine fois, je voudrais être reçu en libérateur et en Sponsor suprême sinon c’est la dernière fois que vous me voyez fouler ce sol que vous dites mien.
C’est tout craché: préparez moi un triomphe ou bien cessez d’émarger sur mes comptes.
Ce n’est pas la peine de m’envoyer d’émissaires. C’est vous que je tiens responsable, vous seulement et vous avez intérêt à vous en souvenir ».
Qui a écrit et à qui s’adresse-t-il? Mystère et barbe de gomme car ce qui écrit ci-dessus exprime un vif courroux et peut-être même la saine colère de celui qui est pris alors qu’il croyait prendre…