Le Sommet de la Francophonie aura bel et bien mis en valeur l’île de Djerba et ses nombreux atouts. Chaque année, des milliers de visiteurs sacrifient aux beautés d’une île qui n’a pas fini de révéler ses secrets.
Quels sont les éléments les plus marquants du paysage djerbien ? Outre le caractère défensif de plusieurs monuments et édifices de l’île, ce sont le commerce et la religion qui sont les principaux marqueurs de l’architecture insulaire. Les itinéraires entre mosquées et synagogues ou bien des souks aux fondouks permettent d’aborder un patrimoine des plus riches. Regards sur une île aux innombrables richesses culturelles.
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A Djerba, le visiteur se perd littéralement dans les méandres de la campagne et c’est là que le regard découvre un patrimoine et une architecture exceptionnels. De chemin de terre en piste rurale, ce sont des dizaines de découvertes qui attendent et se déclinent en habitations, mosquées, huileries et aussi citernes et puits traditionnels.
L’arrière-pays djerbien est pour le moins surprenant. On peut y voir entre les palmiers et les oliviers des dizaines de « menzels », autrement dit des villas fortifiées, caractéristiques de l’habitat local. Ces demeures que certains qualifient de manoirs ont en effet l’apparence de fortins d’un blanc immaculé.
Munies de tourelles, avec plusieurs murs sans fenêtres, ces maisons s’insèrent dans un « houch » qui comprend un jardin, une étable et une cour de ferme. Chacun de ces espaces privés est séparé des autres par des « tabias », ces murets de terre qui délimitent les propriétés et créent un réseau complexe d’allées qui relient ces « menzels » disséminés dans les terres.
Cet éparpillement est la conséquence d’impératifs défensifs. Redoutant les invasions, la population insulaire s’est éloignée des côtes pour occuper méthodiquement les campagnes. L’île étant complètement plate, les tours de guet permettaient de voir au loin alors que chaque maison pouvait aisément se transformer en camp retranché.
Les mosquées avec leurs minarets complétaient ce dispositif et assuraient une quiétude relative aux populations de l’île. Cette occupation méthodique de l’espace n’est pas sans rappeler la dissémination des habitats troglodytiques dans le sud-est de la Tunisie. Cachés aux regards, les « menzels » de Djerba offrent les atouts d’une fortification tout en répondant à une esthétique remarquable, basée sur une subtile dialectique des voûtes et des coupoles.
Dans l’histoire de la Tunisie, certains de ces « menzels » évoquent le souvenir des villas fortifiées que l’on pouvait par exemple voir à Sbeitla au septième siècle. De même, on peut chercher des similitudes de principe entre les « menzels » djerbiens et ceux de Sfax dont la caractéristique est aussi d’être disséminés dans les vergers, les fameux « jnens » de la capitale du sud.
Vu de l’extérieur, un « menzel » est aussi anonyme que n’importe quelle maison dans une médina. Toutefois, son aspect massif et dépouillé interpelle. La sobriété de ces édifices et leur caractère clairement défensif sautent aux yeux. Pas de décoration ni d’effet de style, tout est dans la structure qui cache la vie derrière de hauts murs à la blancheur éblouissante.
A l’abri de ces remparts qui ne disent pas leur nom, la vie de famille ne craignait pas les regards indiscrets et se déroulait selon un rituel immuable. Le bâtiment lui aussi parvient à se fondre dans l’anonymat des campagnes. On l’aperçoit au gré d’un détour puis il disparaît pour de nouveau surgir. Mystérieux « menzels » qui nimbent de beauté le cœur de l’île et s’égrènent sans fin aux quatre points cardinaux.
Parfois, il est permis de rêver à un plan de l’île qui fasse abstraction de tout et ne représenterait que les monuments défensifs dans leur diversité de tailles et de fonctions. Cela permettrait de poser un regard inédit et totalement différent sur un réseau architectural qui n’a pas encore livré tous ses secrets.
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Fondouk à Houmt Souk
Dans la logique du territoire djerbien, l’eau et sa gestion ont une importance capitale. Les puits et les citernes sont ainsi le complément naturel de tous les ouvrages défensifs et sont tout aussi disséminés. La moindre goutte d’eau a une valeur inestimable et les technologies appropriées des terroirs locaux rivalisent d’audace et d’ingéniosité pour aménager « birs » et « majens ».
Les puits sont reconnaissables entre tous et surprennent par leur aspect monumental. Répondant à un modèle très répandu, ces puits ont leur esthétique propre et des structures utilitaires. Surélevés, surplombés par des constructions crénelées, ces puits sont inséparables du paysage îlien. Leur réseau assez dense est complété par des citernes en « impluvium » qui sont quasiment partout où existe un édifice.
Construites sous les mosquées ou sous les demeures, ces citernes sont invisibles au regard non initié et rendent de nos jours encore d’éminents services. Régulièrement chaulées et récurées, elles permettent de conserver l’eau de pluie. Leur existence et leur gestion résonnent comme une leçon d’écologie à l’usage de ceux qui, sous des cieux plus cléments, dilapident cette précieuse ressource.
Les citernes de Djerba, élément incontournable et méconnu du paysage, posent ainsi des questions à notre conscience environnementale, dans un pays où la grande hydraulique a supplanté les mille et une techniques traditionnelles de captation de l’eau. Car si la gestion de l’eau dans le sud est caractérisée par les « majen » et les « jessour », la Tunisie a une longue histoire dans ce domaine, depuis les aqueducs romains aux bassins aghlabides en passant par l’équation d’Ibn Chabbat.
Dans les gros bourgs de Djerba, surtout à Houmt-Souk, les promenades d’architecture sont tout aussi enrichissantes. Elles peuvent mener le visiteur à la rencontre du patrimoine religieux et sacré. Elles offrent aussi une plongée dans les souks et leurs environs qui regorgent de fondouks relativement bien préservés.
Ces fondouks sont des auberges et plus précisément encore des hostelleries à l’ancienne. Cousins des caravansérails de la tradition, les fondouks sont présents dans toutes les villes commerçantes. On en trouve qui avaient une fonction consulaire ou bien qui étaient à la disposition d’une profession précise.
A Houmt-Souk, ces fondouks sont particulièrement nombreux et font partie intégrante du patrimoine urbain. Dans le quartier dit des Maltais, on trouve une concentration importante de ces établissements dont les fonctions initiales sont tombées en désuétude. Certains de ces fondouks ont jusqu’à trois siècles d’existence et pourraient raconter bien des péripéties de l’histoire de l’île.
La structure de ces édifices reste caractéristique. Ils se présentent en deux parties distinctes : le rez-de-chaussée où l’on gardait les chevaux et les dromadaires et l’étage unique où se trouvaient des chambres où l’on installait les passagers. De plus, des magasins et entrepôts étaient disponibles pour y stocker des marchandises et se trouvaient autour de la cour centrale. Massifs et spectaculaires, ces fondouks sont aujourd’hui dans plusieurs situations distinctes.
Les uns ont été aménagés pour y accueillir des hôtels relativement bon marché. D’autres ont connu des travaux récents et abritent des lieux de convivialité, comme des cafés ou restaurants. D’autres enfin sont désaffectés, en souffrance d’une nouvelle destination alors que le bâtiment s’effrite irrémédiablement. Faire revivre ces fondouks constitue une gageure et donnerait à l’île de nouveaux atouts pour le tourisme culturel.
Dans la ville de Houmt-Souk, plusieurs « zaouias » ont été restaurées et viennent souligner un autre aspect des architectures locales. Même si elles obéissent à un modèle très répandu, les « zaouias » locales se caractérisent par leurs toits aux voûtes multiples ou encore leurs grandes salles surmontées d’une koubba. Si le mausolée de Sidi Jamni a gardé sa fonction sacrée, il est intéressant de découvrir l’architecture des zaouias de Sidi Zitouni et Sidi Ameur, bâtiments du dix-huitième siècle qui accueillent aujourd’hui le musée local.
Aux alentours, les souks offrent un bel exemple architectural dont la distribution spatiale fait penser à la médina de Tunis ou celle de Kairouan. Les souks sont, en effet, excentrés et forment un îlot urbain, entouré de fondouks et d’autres commerces et ateliers. Les petites échoppes du souk couvert et le découpage géométrique de l’espace nous mettent au contact d’un quartier commercial très actif. Sans être totalement tournés vers le tourisme, les souks de Houmt-Souk maintiennent une longue tradition et réunissent chaudronniers, ferronniers et orfèvres.
Ce sont toutefois ces derniers ainsi que les spécialistes du textile qui donnent ses lettres de noblesse à ce quartier qui respire l’histoire par tous ses pores. Au détour d’un souk, il n’est pas rare, au hasard des ruelles, d’apercevoir au-delà des portes entrouvertes, les vastes cours intérieures bordées d’arcades et de minuscules portes bleutées. Ce sont les derniers fondouks djerbiens. Tout aussi présents sont les échoppes de tailleurs qui se trouvent dans les parages des agglomérations, là où l’on peut trouver, comme à Midoun, des pressoirs à huile à dôme de pierre qui remontent à trois siècles.