Ces derniers mois, je me suis plongé avec délices dans les mémoires textiles de Tunis et retrouvé de nombreuses traces vivantes et parfois estompées.
Entre les Zbouna, les Ben Mlouka, les Sanaa, les Kharrat ou les Khoffi et autres Ben Yedder, toute une histoire reste à écrire.
C’est aussi le cas de nos figaros, tous les coiffeurs qui partout dans la ville rêvaient au plus élégant des salons et rivalisaient d’audace pour y parvenir.
Je me souviens de leurs blouses blanches immaculées et de leur babil interminable. Je me souviens aussi de la brillantine, des frictions à l’eau de cologne et des serviettes chaudes dont on recouvrait les visages.
Mon père ne fréquentait que les coiffeurs du quartier : Mansour, Hedi ou le salon lumineux de Hassen Chtioui sur le boulevard de Bab Djedid. Les figaros de la médina n’avaient rien à envier aux autres et leurs tenues à l’ancienne, restent inoubliables.
Ma mère allait chez Ida à Montfleury. Elle m’y emmenait parfois et, petit enfant dans les jupes féminines, j’observais l’alignement des séchoirs qui casquaient les clientes et les bigoudis multicolores enroulés dans leurs cheveux.
Ce n’est que plus tard que je pus aligner quelques noms de coiffeurs à la mode. L’incontournable Khemais Ouanes à la Nationale, qu’une voiture venait chercher pour l’emmener au palais de Carthage.
On raconte que Bourguiba finit par s’irriter de ses bavardages et finit par le troquer par le non moins célèbre Moncef Attia qui a longtemps officié rue de Hollande.
Comment ne pas citer Latino au Colisée où il vous en coûtait un dinar et demi pour une coupe alors que les prix ailleurs s’affichaient à trois cents millimes ? Et le salon de l’Africa où se retrouvaient les notables et les gens du monde !
Ces histoires aussi restent à écrire. Qui se souvient d’Antoine qui, avenue de Londres, rayonnait sur les quartiers environnants ? Un peu plus loin, un autre salon de coiffure dont j’ai oublié le nom, jouxtait le mikvé de la même avenue.
Et Marc Antoine dont je n’ai jamais su où se trouvait le salon ? Figaro de son état, plutôt efféminé, il dînait en ville, entre le Cosmos et le Strasbourg où je l’ai croisé tant de fois sans le connaître.
Et tous les Italiens ! Ceux de l’avenue de la Liberté ou de la rue Sidi Bou Mendil, ceux de la rue Charles de Gaulle et de Lacagna ou Saint-Henri.
Que d’histoires à se remémorer et écrire alors que les mémoires s’effilochent. L’aventure me tente de dresser une topographie des figaros de la ville, y restituer les miens et aussi les vôtres, y parler aussi des championnats de coiffure et des diplômes qui sont accrochés sur les murs des salons.
Cette chronique n’est qu’un premier pas à la recherche du tif perdu et de cette multitude de salons pour femmes et pour hommes. Qui y contribuera en mettant ses pas dans les miens ?