Le Club Tahar Haddad rend hommage aujourd’hui, mardi 11 juillet à 18h, à Mahmoud Abdennebi, afin de commémorer le quarantième jour de sa disparition. Gros plan sur un artiste singulier.
Il faut avoir vu Mahmoud Abdennebi camper le personnage d’Harpagon pour ressentir la profondeur de ses interprétations et sa manière de faire corps avec un personnage de théâtre.
Peut-être aurait-il dû accomplir sa vocation et égrener sa vie sur les planches ? Comédien dans l’âme, il était remonté tard sur les planches, âgé de plus d’une trentaine d’années mais toute sa verve en bandoulière.
Il n’avait pas son pareil, nulle part au monde, pour interpréter les Contes de la Bécasse qu’on aurait dit écrits pour lui, par le grand Guy de Maupassant. Il fallait le voir virevolter, moduler ses gestes et jouer de sa voix en récitant « Ce cochon de Morin » ou La Rempailleuse ».
Il fallait l’entendre, saisir sa jubilation face à son double théâtral et laisser son verbe haut couler de source.
C’est devant une armoire à glace, durant un été caniculaire, à l’heure de la sieste alors que ses frères étaient à la plage du Kram, que Mahmoud Abdennebi s’est découvert une passion pour le théâtre.
Il racontait à son miroir géant les péripéties de sa journée et les farces qu’il inventait. Aussi facétieux qu’un Sganarelle et plus rusé que Scapin en personne, l’enfant Mahmoud jouait inlassablement, inventait des personnages et restituait les textes littéraires qu’il aimait apprendre par cœur.
S’étant pris au jeu, Mahmoud s’est vite retrouvé face à une nécessité intérieure : celle d’incarner ces histoires hétéroclites qui allaient d’un poème de Baudelaire à un conte de Shéhérazade, d’une tirade de Shakespeare à une aubade de Nizar Kabani.
Un jour, il franchit le pas. C’était au Club Tahar Haddad, entouré d’amis, qu’il éclaboussa le Café Culture de son talent. Ensuite, à la radio, il endossa des dizaines de rôles, durant les Matinales de RTCI.
Après sa rencontre avec Imen Gaidi qui deviendra son épouse, il disciplina son jeu et, dans la complicité de son couple, il allait créer de nombreuses performances et écumer les scènes de plusieurs villes. Mahmoud avait dès lors accompli son rêve si longtemps caressé et jusqu’à ses derniers jours, continuera à conjuguer malice, émerveillement et art verbal.
J’ai connu Mahmoud Abdennebi en classe de sixième et à l’époque, en 1969, madame Deleau, notre professeur de français, nous avait fait jouer une scène du Malade imaginaire de Molière. Je ne sais plus s’il était dans le rôle de Purgon ou de Diafoirus. Je me souviens seulement que je lui donnais la réplique et qu’il portait une ample robe d’avocat empruntée à son oncle.
Nous avions pris cette mission très au sérieux et avions répété nos réparties à la rue Saint-Jean où il habitait l’immeuble qui fait le coin, à quelques pas du lycée Carnot.
A vrai dire, nous fûmes applaudis par nos camarades et allions plus tard, dans des sillons différents, poursuivre nos rêves de théâtre. Cette représentation en salle 23, sur une estrade branlante, avec un tableau noir en guise de décor, restera notre souvenir commun, mille fois évoqué, avec les rires qui allaient avec.
Mahmoud Abdennebi se tournera ensuite vers le sport, sera l’un des piliers de l’équipe de rugby du lycée et pratiquera le karaté. De retour au pays, après une parenthèse estudiantine en France, il rejoindra la Caisse nationale de Sécurité sociale dont il était retraité depuis quelques années.
Aujourd’hui, après son décès en mai dernier, sa veuve et ses amis lui rendent un nouvel hommage. Sans doute, sera-t-il présent par l’esprit qui est en toute chose.
Assurément, Mahmoud Abdennebi nous a légué étincelles de joie et éclats de vie, fou-rires irrésistibles et souvenirs de potache, art de vivre en étant soi et envolées lyriques vers les mots qui vibrent dans sa voix et la majesté que lui seul savait leur donner.