J’ai dĂ©jĂ eu l’occasion de m’exprimer sur le retour de la statue de Bourguiba sur l’avenue. Les responsables de cette mauvaise bonne idĂ©e n’ont finalement Ă©coutĂ© personne et n’en ont fait qu’Ă leur tĂŞte. Et c’est bien triste…
Une compétition feutrée entre Marzouk et Caid Essebsi
Force est de constater que les premières rĂ©alisations palpables de BĂ©ji Caid Essebsi sont une statue de Bourguiba Ă Monastir et la re-translation de la statue Ă©questre du Combattant suprĂŞme de la Goulette, oĂą elle se trouvait bien, Ă l’avenue Bourguiba oĂą elle retrouve un nouveau piĂ©destal.
Pour l’instant, ce sont les seules promesses que le prĂ©sident de la RĂ©publique aura tenues après sa campagne Ă©lectorale et cela m’attriste profondĂ©ment car non seulement la Tunisie a d’autres urgences mais elle a besoin d’autres symboles.
Le plus affligeant dans toute cette histoire de statues qu’on bricole pour les remettre au goĂ»t du jour, c’est que tout se passe comme si le prĂ©sident de la RĂ©publique et Mohsen Marzouk, son ancien conseiller devenu un concurrent, jouaient Ă se damer le pion Ă coups de surenchères bourguibiennes.
Alors que Marzouk se lance dans une refondation symbolique du NĂ©o Destour, Caid Essebsi lui coupe l’herbe sous les pieds en se faisant acclamer Ă Monastir et en se lançant dans une restauration qui ne dit pas son nom. Du grand guignol!
Connaissant et apprĂ©ciant ces deux acteurs essentiels de la transition, je ne peux qu’ajouter que nous attendions mieux d’Etat et plus de luciditĂ© de leur part. Mais que voulez-vous, la politique politicienne a des ruses et des mĂ©andres que la simple morale n’entrevoit mĂŞme pas…
Feindre le bourguibisme, se draper dans l’Islam
A force de feindre le bourguibisme comme d’autres se drapent dans l’Islam, nos politiques nous en feraient oublier que Bourguiba fut bel et bien un dictateur et que cette statue a Ă©tĂ© Ă©rigĂ©e pour le glorifier alors qu’il venait de se faire acclamer prĂ©sident Ă vie, un certain 18 mars 1975, ce jour de sinistre mĂ©moire qui nous a poussĂ© dans un gouffre qui n’en finit pas.
Nos politiques nous démontrent aussi que la ligne est très ténue, difficile à discerner entre le faussaire machiavélique et les feintes acrobatiques des nouveaux islamistes destouriens et leurs reflets destouriens islamistes.
La voie de sortie de la crise est bien loin de ces gesticulations poujadistes et opportunistes qui consistent Ă vouloir instrumentaliser l’hĂ©ritage de Bourguiba comme d’autres cherchent Ă le faire avec la parole divine.
Les urgences de la Tunisie sont ailleurs, bien loin de ces statues qu’on ressort, aux antipodes des soucis de ceux qui gouvernent et ceux qui sont devenus leurs opposants.
La statue de Bourguiba peut-elle symboliser le chemin vers la démocratie?
Les prioritĂ©s de la Tunisie sont dans la construction d’un dessein national, dans la crĂ©ation d’emplois et le retour de la confiance. En son temps, Bourguiba avait enthousiasmĂ© car il avait montrĂ© le chemin, su ĂŞtre visionnaire et stratège.
Plus rien de cela aujourd’hui, pas de perspectives pour une jeunesse qui rĂŞve de construire un nouveau pays, un sentiment national qui s’Ă©tiole et s’effiloche et une totale absence de projet. OĂą sont les lendemains qui chantent?
DilapidĂ©s, salis, falsifiĂ©s par des politiciens sans vergogne qui semblent se vautrer dans tous les passĂ©s possibles tout en ayant oubliĂ© l’avenir qui nous intĂ©resse au premier chef.
Le chemin dĂ©mocratique ne peut ĂŞtre symbolisĂ© par le retour d’un Bourguiba statufiĂ©. Tout au plus ce serait lĂ l’indice d’une dĂ©pression collective qui ne voit d’issue que dans le recours au passĂ©.
Ou alors, c’est le règne de la pensĂ©e magique: « Tout ira mieux quand la statue sera de retour sur l’avenue »…
En 1987, une statue déboulonnée entre liesse et indifférence
En attendant, on balaie d’un revers de la main les aspirations de la jeunesse, on dĂ©pense allĂ©grement près d’un milliard pour transfĂ©rer une statue et on continue Ă s’enfoncer en criant « Yahia Bourguiba ».
Le retour de cette statue est un symbole redoutable qui pourrait jouer un mauvais tour Ă ceux qui en sont Ă l’origine.
Avec cynisme, un jeune me confiait que dĂ©sormais, il ne serait pas surpris de voir une statue de Caid Essebsi Ă la Goulette… C’est tout dire et cela renseigne bien sur l’Ă©tat d’esprit de ceux, plus nombreux qu’on ne veut le croire, qui s’opposent au retour de cette statue qui, en 1987, avait Ă©tĂ© dĂ©boulonnĂ©e dans l’indiffĂ©rence et mĂŞme une certaine liesse.
Car c’est cela aussi l’histoire: cette statue a quittĂ© le centre-ville alors que l’actuel prĂ©sident de la RĂ©publique rejoignait le parti fondĂ© par Ben Ali et retrouvait des responsabilitĂ©s qu’il avait quittĂ©es. Est-ce pour s’absoudre de cette parenthèse qu’il verse dĂ©sormais dans l’activisme bourguibiste alors que ses Ă©lecteurs l’attendaient ailleurs?
Une statue instrumentalisée mais les urgences sont ailleurs
Et les urgences de la Tunisie, qui s’en offusque? Et le retour subreptice des Frères musulmans dans leurs habits neufs d’alliĂ©s de Nidaa Tounes qui s’en inquiète? Et le terrorisme qui guette, les prĂŞts qui s’accumulent, la jeunesse dĂ©sespĂ©rĂ©e, l’Ă©conomie qui s’effondre…
Tout cela, nous l’oublierons dans les flonflons de la fĂŞte qui cĂ©lĂ©brera le retour instrumentalisĂ© de la statue du Commandeur sur l’avenue qui porte son nom.
Mais tout cela nous rattrapera, nous taraudera, finira par nous emporter si nous ne rĂ©animons pas notre dignitĂ© vĂ©ritable…
Droit d’inventaire de l’hĂ©ritage bourguibien
Qu’elle revienne donc cette statue puisqu’on nous l’impose. Car, après tout nos deux gĂ©rontes qui, dit-on, font la pluie et le beau temps, pourront bien s’accommoder d’un troisième larron, fĂ»t-il Thaalbi, El Benna, Bourguiba ou Mathusalem en personne!
Mais comme dit l’adage, l’histoire ne pardonne pas, surtout lorsque ce sont de nouvelles boites de Pandore qui s’ouvrent, sur fond de dĂ©ni de l’avenir, de peur du progrès et de profonde nĂ©vrose collective chevillĂ©e Ă un passĂ© qui nous sert dĂ©sormais d’horizon…
Il est temps de rĂ©animer la politique et, aussi, mettre en mouvement notre droit d’inventaire sur l’hĂ©ritage bourguibien, ses incontestables rĂ©ussites, ses sĂ©quences sombres et ses dĂ©rives insupportables… Au moins le retour de cette statue aura-t-il le mĂ©rite d’ouvrir ce dĂ©bat qui s’impose…
H.B.
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