Il est un fait incontestable : tout le monde adore le goût du pain tabouna. Au point où l’on dirait que ce pain est inscrit dans nos gènes, et qu’il ferait en quelque sorte partie intégrante de notre identité.
Pain, huile, miel…
Du nord au sud de la Tunisie, on se délecte de ces galettes rustiques. On les vend sur les marchés, le long des routes et même dans certaines boulangeries chic.
Dans le pays profond, tremper un morceau de pain tabouna dans une assiette où attendent un rayon de miel et une coulée d’huile d’olive est un geste du quotidien le plus banal.
Manger du pain tabouna avec des olives a très longtemps été le casse-croûte par excellence. En un mot comme en cent, ce pain est au oeur de nos vies et de notre mémoire.
Un pain qui vient de si loin…
On peut se demander pourquoi. D’où vient cette attraction presque magique pour le pain tabouna ? pourquoi lorsque ce pain est là, on délaisse toutes les autres variétés qu’on pourrait nous proposer ?
Et ce pain d’où nous vient-il ? Pouvons-nous remonter jusqu’aux premières tabounas qu’a connues le pays ?
Une statuette jaillie de la nuit des temps
Une partie de la réponse à ces questions se trouve sous nos yeux, dans la photographie qui illustre ce billet. elle représente une petite statuette en terre cuite. Cette statuette est très ancienne.
Découverte dans une tombe punique d’il y a vingt-cinq siècles, cette statuette est de dimensions modestes et représente une scène de la vie quotidienne, comme jaillie de la nuit des temps.
Une femme et un enfant sont penchés sur une sorte de coupole ouverte qui présente une large bouche. L’un des bras de la femme est introduit dans l’orifice alors que son regard semble observer les parois de la coupole.
Une scène exhumée d’un oubli tombal
La scène semble familière. Regardons de plus près cette œuvre inanimée, miraculeusement préservée, exhumée d’un oubli tombal. L’impression de déjà-vu persiste devant cet écho lointain d’un geste immémorial.
Sans aucun doute, cette femme et son enfant sont penchés sur un de ces fours à coupole que nous nommons tabouna. La scène semble familière car nous reconnaissons ce geste qui s’est donc perpétué à travers les siècles.
Saisissante statuette entre histoire et géographie
Je savais vaguement que notre tabouna est relié par un filigrane invisible aux fours domestiques de l’Egypte des Pharaons et aux traditions de l’antique Phénicie. Tout aussi imprécisément, je savais que sous d’autres cieux, ce four pouvait s’appeler « tannour » et qu’il semblait avoir mystérieusement traversé aussi bien l’histoire que la géographie.
Saisissante statuette ! J’imagine cette femme d’un autre temps chauffant son four avec des branchages d’olivier.
Effluves des essences brûlées dans le four
Je la revois aplatir entre ses mains une boule de pâte à pain puis l’introduire vivement dans le four en la collant contre sa paroi. Je sens l’odeur du pain tabouna qui s’imprègne des essences brûlées dans le four.
Arômes subtils, croûtes qui craquent… Nommait-on alors ce pain « kesra » comme nous le faisons aujourd’hui? Le rompait-on pour le tremper dans un râgout ?
J’imagine dans le même élan les équivalents de nos « ajjans » qui servaient à pétrir ces pains puniques. En trouve-t-on aussi dans les sépultures carthaginoises ?
Des jeux de mains toujours vivants
Je recompose les gestes de cette femme figée dans sa posture attentive. Je la revois préparer les baises, observer la montée des flammes, disposer les pâtes à pain contre la paroi puis retirer les galettes après la cuisson.
Des faits minuscules… Des jeux de mains toujours vivants…
Des gestes d’hommes pour les siècles des siècles
Au-delà de la figurine, d’autres gestes encore: des mains d’hommes qui mélangent argile, tessons et paille ; qui modèlent dans la glaise un tronc de cône, en égalisent les parois, l’ouvrent vers le ciel et le percent au sol d’un orifice pour l’entrée de l’air.
Je vois ces mains qui, ensuite, allument un feu pour cuire le four qui, à son tour cuira le pain quotidien…
Nos mémoires du pain
Trame d’éternité, une simple statuette peut devenir un élément subtil de la grammaire qui fonde notre identité, un signe magique qui se niche aux tréfonds de nos mémoires du pain.
Je voudrais pour terminer dédier ce texte, ce billet de l’Aid, au professeur M’hamed Fantar qui nous a ouvert les yeux sur des pans entiers de notre histoire. Et, je voudrais dans le même élan le dédier à Hamida de Takrouna et Myriam de Matmata pour la saveur incomparable de leur pain d’éternité…
Bonnes fêtes à toutes et à tous !
H.B.