La Tunisie est-elle en passe de devenir une improbable voyoucratie ? Que se passe-t-il en termes de prĂ©sence de l’Etat pour que se dĂ©chaĂ®nent vandales et Ă©nergumènes qui se cachent derrière des protestations, les couleurs d’un club ou une barbe hypocrite ?
Car ce qui s’est passĂ© mardi Ă Kasserine et mercredi Ă Radès relève de la mĂŞme logique, la mĂŞme dĂ©rive, la mĂŞme chute.
Après janvier 2011, nous avions assistĂ© Ă des revirements spectaculaires. Ainsi, des bandits notoires s’Ă©taient reconvertis en salafistes et prĂŞchaient la bonne parole Ă qui voulait bien les croire. Peu Ă peu, une convergence a fini par voir le jour et s’affirmer entre milieux de la petite dĂ©linquance, contrebandiers et traite des mercenaires.
Cette convergence Ă©tait prĂ©visible et continue Ă se renforcer en l’absence de rĂ©ponse autoritaire des autoritĂ©s. En fait, tout semble se passer comme si une nouvelle règle du jeu avait Ă©tĂ© intĂ©grĂ©e dans ce jeu du chat qui n’en est plus un et de la souris qui se voit plus grosse que le bĹ“uf de la fable.
Selon cette nouvelle règle non Ă©crite, il est considĂ©rĂ© que la police est impuissante Ă agir et, mĂŞme si elle agissait, dĂ©sarmĂ©e et vellĂ©itaire en l’absence d’instructions musclĂ©es. Toute la dĂ©linquance du pays surfe sur cette vague comprise comme permissive et dĂ©fie ouvertement l’Etat.
Plus grave, un sentiment d’impunitĂ© plane sur la Tunisie, avec une justice qui libère les apprĂ©hendĂ©s d’un jour et une atmosphère crĂ©pusculaire entretenue par la menace du retour des jihadistes et les dĂ©bats qui vont avec sur fond de prisons trop pleines et de citoyens qui n’hĂ©sitent plus Ă exiger rien de moins que des camps de concentration.
Le gouvernement rĂ©agit comme il peut, le prĂ©sident continue Ă discourir sans aller Ă l’essentiel, les dĂ©putĂ©s donnent l’impression d’une girouette par temps de grand vent et les partis politiques n’hĂ©sitent plus Ă parler de confrontation inĂ©luctable tout en se dĂ©chirant comme jamais.
Pendant ce temps, des faux protestataires prennent Kasserine en otage et s’attaquent aux biens publics, de faux supporteurs ravagent le stade de Radès et ciblent la police et la petite dĂ©linquance s’affiche sans complexe avec son lot de braquages et d’agressions de toute sorte.
La Tunisie va bien mal pour laisser faire ce nouvel Etat dans l’Etat et il est de la plus grande gravitĂ© que des partis politiques mĂ©nagent la chèvre et le chou pensant tirer d’hypothĂ©tiques bĂ©nĂ©fices de cette vague vandale.
De l’affaire Petrofac Ă la guerre d’usure entre contrebandiers et douaniers Ă Ben Guerdane, des caches d’armes aux cellules jihadistes qui pullulent, des terroristes en voie de repentir au soutien implicite de nombreux politiciens Ă leur pardon quasi immĂ©diat, trop de tensions menacent une Tunisie inquiète, en crise morale et financière.
Désormais, de véritables gangs agissent au grand jour comme à Kasserine, les hooligans se lâchent même pour des matches amicaux et les alliés objectifs des mouvances salafistes et jihadistes rêvent du grand soir islamiste à haute et intelligible voix.
N’est-il pas temps pour l’Etat de se rĂ©veiller avant l’effondrement ? N’est-il pas incroyable que tous ces foyers de tension ne suscitent que des rĂ©actions ponctuelles et isolĂ©es des pouvoirs publics? Faudra-t-il une nouvelle fronde des citĂ©s populaires et des jacqueries dans les provinces pour que le rĂ©veil sonne enfin ?
La Tunisie est perplexe, la Tunisie est meurtrie, la Tunisie est la victime de ses propres enfants…
HB
