On vous posera souvent la question de savoir quel est le site antique qui vous marque le plus en Tunisie.
A chacun sa rĂ©ponse et Ă chaque rĂ©ponse son contexte… Ainsi, si je me rĂ©fĂ©rais Ă mon histoire personnelle, je rĂ©pondrais Thuburbo Majus, sans hĂ©sitation, car c’est dans cette citĂ© antique que je me suis promenĂ© la première fois, en excursion scolaire.
Cette Ă©motion m’a suivi tout au long de ma vie et que de moments virginaux sont incrustĂ©s dans ma mĂ©moire et relatifs Ă notre patrimoine antique.
Une mosaĂŻque d’Ă©motions virginales
Je me souviens ainsi avoir arrachĂ© de l’herbe Ă Segermes pour faire apparaĂ®tre des mosaĂŻques antiques, en frottant le sol qui les celait. Inoubliable…
Je me souviens avoir vu la colline sous laquelle se cachait encore l’amphithéâtre de Oudna. Moment magique, lorsque de retour sur le site, j’ai vu les progrès dans les travaux.
Je me souviens aussi de mes premiers pas dans ce qui reste de Ain Tounga ou de ce rĂŞve de retrouver la voie romaine traversant la Khroumirie vers Tabarka.
Comment oublier mes pĂ©riples Ă Zaghouan, Ă l’ombre du Temple des eaux ou encore les citernes d’Amilcar que je ne manquais jamais de visiter en allant Ă la plage.
En sillonnant l’AntiquitĂ©…
Il fut un temps oĂą notre groupe de lycĂ©ens avait choisi la petite plage de galets voisine du palais de Carthage pour s’y baigner. Moments lumineux, avec la mer qui venait lĂ©cher les ruines des Thermes d’Antonin, et nous tous, relisant les Noces Ă Tipaza de Camus ou bien rĂŞvant Ă nos propres textes.
Chacun possède sa propre mĂ©moire du patrimoine antique et les lieux les plus inattendus peuvent surgir lors d’une Ă©vocation. Comment oublier Althiburos, Utique, Haidra ou Makthar, lorsqu’on y est passĂ© ne serait-ce qu’une fois ?
Pourtant la question est diffĂ©rente, plus grave en quelque sorte puisqu’il s’agit non plus de perception personnelle mais de sites collectivement marquants.
Le pouvoir de Dougga et El Jem
Dans ce cas, ma rĂ©ponse est invariable: le site le plus puissant de notre patrimoine antique ne peut ĂŞtre que l’amphithéâtre d’El Jem, notre ColisĂ©e tunisien.
Pourquoi ? Simplement car il a Ă©tĂ© créé ex nihilo. C’est le seul Ă©difice oĂą il n’y a en principe pas de matĂ©riaux de rĂ©emploi. Cet aspect est celui qui me semble le plus extraordinaire.
Avec El Jem, Dougga me vient Ă l’esprit en seconde position Ă cause de la majestĂ© de son capitole et aussi de la beautĂ© de son mausolĂ©e libyco-punique. Entre ces deux monuments, quatre siècles d’histoire se dĂ©roulent…
De Sbeitla Ă Bulla Regia
Il y a aussi Sbeitla et ses trois capitoles que je ne manque jamais de visiter, en errant aussi Ă travers les vestiges des Ă©glises et celles des villas fortifiĂ©es. L’Ă©motion de Sufetula l’antique est Ă nulle autre pareille car c’est ici qu’a commencĂ© la sĂ©quence actuelle de notre histoire, marquĂ©e par la dĂ©faite du patrice GrĂ©goire face au « jound » arabe.
Autre Ă©motion particulièrement recherchĂ©e, celle qui me prend lorsque je descends les marches des villas romaines de Bulla Regia est Ă nulle autre pareille. Souvent, j’ai alignĂ© les kilomètres rien que pour revoir la villa de l’Amphitrite et son admirable mosaique, symbole d’une vĂ©ritable ville souterraine.
Retour Ă Utique
Enfin, comme il faut citer cinq sites, je ne peux que revenir Ă Utique, berceau urbain de la Tunisie, ville d’avant-Carthage dont la visite est riche d’enseignements puisqu’il n’y reste plus grand chose avec le recul du rivage Ă douze kilomètres.
Je me souviens alors de Chateaubriand s’exclamant: « Mes yeux voulaient reconnaĂ®tre l’emplacement d’Utique ». De cette citĂ© fondĂ©e en 1100 avant J.-C, il ne reste plus qu’un souvenir enfoui et quelques vestiges…
Les aqueducs de la route de Thuburbo Majus
Je pourrais encore vous proposer bien des pĂ©rĂ©grinations Ă la recherche de mosaiques retrouvĂ©es dans les champs du Sahel ou des aqueducs qu’on aperçoit de la route. Ces derniers me permettent de remonter Ă un souvenir lointain: celui des hauts aqueducs qui traversaient le Bardo et n’en finissaient pas de nous impressionner.
Ce fut lorsque, sur la route de Thuburbo Majus, je revis ces aqueducs de l’enfance, alignĂ©s et hiĂ©ratiques, traversant oued Miliane, non loin de Mohamedia que je me pris de passion pour l’AntiquitĂ© tunisienne.
Le mille-feuille de l’histoire
Auparavant, le monde antique était un simple univers de péplums ou de bandes dessinées mais là , il vivait, frémissait sous mes yeux, dans la caresse du temps.
Je me souviens de la voix d’Annie Naccache, notre prof de latin, qui Ă©numĂ©rait pour nous et la postĂ©ritĂ©: « Cet aqueduc a Ă©tĂ© bâti par Hadrien, restaurĂ© par Septime SĂ©vère, dĂ©moli par les Vandales, reconstruit par BĂ©lisaire, de nouveau dĂ©truit par les Arabes assiĂ©geant Carthage, restaurĂ© par les Fatimides, reconstruit par les Hafsides »…
L’histoire n’est pas un long fleuve impassible et, Ă lui seul, cet aqueduc a la vertu de nous le rappeler. Tout comme les ruines et vestiges qui revivent encore leur splendeur passĂ©e lorsque nos regards, tendres et curieux, se posent sur eux…
HB