J’ai eu la chance de grandir dans un quartier oĂą l’on pouvait acheter de la « taqoua », du « rfiss », du « halqoum » et du « droĂ´ au skanjbir ».
Ça ne coûtait pas grand chose et avait un goût si particulier. Je dois toutefois avouer, avec du recul, que notre goût avait été trop formaté par les pâtissiers italiens, nombreux dans le quartier de Bab Djedid.
Le plus fameux d’entre eux se trouvait rue du Soudan. En fait, il Ă©tait Maltais et se nommait Chetcuti. Ses mille feuilles, Ă©clairs et choux Ă la crème nous faisaient oublier les saveurs locales mĂŞme s’il fallait aligner 80 millimes pour y goĂ»ter.
En fait, Ă l’Ă©poque dont je vous parle – le milieu des annĂ©es soixante -, nous avions tout en double.
C’est vrai, en y repensant, je dĂ©couvre que je frĂ©quentais une Ă©cole catholique mais aussi le « kotteb ». Je parlais français Ă l’Ă©cole puis arabe Ă la maison.
Les croissants et les pains au chocolat ne me faisaient pas oublier la « mahkouka » ni les sodas la « bsissa ». Même le fromage se déclinait entre « sicilien » et « testouri »!
Je ne l’oublierai jamais: pour aller Ă l’Ă©cole, je devais traverser un quartier arabo-italien puis, sorti des faubourgs, j’arrivais dans la grande ville, la vraie ville, celle qui d’une certaine manière, nous Ă©tait Ă©trangère, celle oĂą nous allions aussi pour le cinĂ©ma ou les grands magasins.
Cette ville hors de portĂ©e avait la saveur de ce qui vous Ă©chappe. Elle Ă©tait comme un pays lointain et obĂ©issait Ă d’autres codes.
Aujourd’hui, cette ville n’est plus. Elle est morte et presque enterrĂ©e après avoir Ă©tĂ© dĂ©sertĂ©e par ses habitants initiaux.
DĂ©sormais, lorsque je marche dans Tunis, j’ai toujours l’impression de traverser une ville morte mais je sais aussi qu’elle vit diffĂ©remment, selon de nouvelles fonctions et d’autres rĂ©alitĂ©s.
Quant Ă mon quartier, je le retrouve rĂ©gulièrement et lĂ aussi, tout a changĂ©. Une cinquantaine d’annĂ©es sont passĂ©es et, comme le dit le proverbe, on ne se baigne jamais deux fois dans le mĂŞme fleuve.
