Cette image de Kairouan ne m’a jamais quittĂ©… Je me souviens bien de l’instant bĂ©ni, lorsque j’ai vu ces tombes blanches et rustiques, se dĂ©gager sur les reflets ocres des remparts.
C’Ă©tait au milieu des annĂ©es 1970, lorsque notre professeure de lettres et de latin, l’inoubliable Annie Naccache, nous avait emmenĂ© en excursion scolaire Ă Thuburbo Majus puis Ă Kairouan.
Plus que toute autre image, c’est celle de cette superposition du blanc et de l’ocre qui a imbibĂ© ma mĂ©moire. Le contraste reste toujours aussi saisissant mĂŞme si, aujourd’hui, j’ai aussi appris Ă apprĂ©cier les mille nuances de bleu qui parent la mĂ©dina de Okba : des bleus subtils comme une poignĂ©e de ciel, fanĂ©s ou flamboyants, diluĂ©s dans le blanc de la chaux et interpellant le regard des visiteurs de cette mĂ©dina aux cent mosquĂ©es.
Mes pas me mènent inlassablement vers ce cimetière oĂą sont inhumĂ©s les ouled Ferhan et qui constitue tout ce qui reste d’une vaste nĂ©cropole qui se dĂ©ployait aux alentours.
Les tombes sont comme façonnĂ©es Ă la main, inachevĂ©es, brutes. Leur forme me renvoie en esprit aux mosquĂ©es de Djerba dont certains minarets ont cette texture.Plusieurs tombes ne portent aucune inscription et laissent flotter l’incertitude et cet anonymat qui fut longtemps celui des sĂ©pultures de l’Islam, invariablement orientĂ©es Ă l’est du mystère et vers d’invisibles infinis.
Après le recueillement, marcher au pied des remparts puis mĂ©diter devant la beautĂ© singulière de la grande mosquĂ©e oĂą tout me rappelle l’antiquitĂ© romaine et byzantine et la ferveur des bâtisseurs de l’Islam.
PerpĂ©tuel retour en ces lieux imbibĂ©s de grâce, souvent Ă©crasĂ©s par le plein soleil et nimbĂ©s d’une invitation mystique. Au seuil de cette oasis de silence, il est temps d’embrasser la mĂ©moire des siècles, les jeux de la pierre et de la foi et les horizons dĂ©bridĂ©s de nos âmes inquiètes…
