Dans des chroniques antĂ©rieures, il m’est arrivĂ© d’Ă©voquer aussi bien le saint homme que fut Sidi Bou Said que ses compagnons dont la prĂ©sence imprègne encore les lieux.
De mĂŞme, les mĂ©andres du village perchĂ©, du fameux Korsi Essolah Ă la demeure du Baron d’Erlanger, ont Ă©galement retenu l’attention des lecteurs de Webdo.
Pour ne rien vous cacher, je visite souvent le village mystique et aime par-dessus tout en arpenter les ruelles. Nous sommes nombreux dans ce cas à venir parfois nous réfugier sous le manteau des saints, en quête de sublime ou simplement pour échapper à la grisaille.
C’est ainsi, dans cet Ă©tat d’esprit, que lorsque je me rends Ă Sidi Bou Said, je ne manque jamais de visiter le palais Ennejma Ezzahra.
A mes yeux, ce lieu majestueux s’apparente Ă une de nos « zaouias », au mausolĂ©e d’un des nombreux marabouts dont les sĂ©pultures peuplent la colline.
La maison du baron serait dès lors une « zaouia » artistique, un lieu de vie et de mémoire au cœur duquel se sont succédé musiciens et poètes, artistes et intellectuels.
Pour moi, ici, dans les espaces de l’auguste demeure, c’est le second versant de la colline, le pendant parfait et idĂ©al du sanctuaire vĂ©nĂ©rable du santon qui donne son nom au village.
J’ai de la sorte mes rituels et s’ils passent par une « ziara » devant la tombe de Sidi Bou Said, ils sont aussi recueillement Ă la mĂ©moire de cet autre saint qui, Ă sa manière, lumineuse ou bariolĂ©e de bleu et blanc, reprĂ©sente aussi le gĂ©nie immuable des lieux.
En marchant dans le village, je retrouve aussi, immanent, le souffle d’autres esprits, d’autres saints qui ont habitĂ© ces lieux. Je n’irai pas jusqu’Ă Ă©voquer les gardiens du phare de Cap Carthage ou les guetteurs musulmans qui, de Sidi Abdelaziz Ă Sidi Dhrif, ont veillĂ© sur ce rivage, scrutant le golfe tout en se prosternant dans la prière et la mĂ©ditation.
Pourtant, ces bienveillants – ou mieux encore ces « bienveilleurs » – continuent Ă nous protĂ©ger. Dans notre langue, nous les nommons « salhin », ce qui souligne leur bienveillance, leur propension Ă la charitĂ© et au don de soi.
Ainsi, les gardiens actuels du phare ou les pèlerins d’une fatiha perpĂ©tuent des gestes immĂ©moriaux, scrutent les mĂŞmes horizons et vĂ©nèrent les mĂŞmes mystiques.
A Sidi Bou Said, de nouveaux saints ont aussi leurs mausolĂ©es ou, plus simplement, enveloppent de leur grâce l’air que nous respirons et qui paraĂ®t plus lĂ©ger, aĂ©rien comme le souligne l’Ă©tymologie.
Mes pas me mènent ainsi jusqu’Ă la demeure qu’habita de longues annĂ©es Jellal Ben Abdallah. Une simple plaque signale sa prĂ©sence en ces lieux et fait renaĂ®tre tout un imaginaire.
Un peu plus loin, la maison adossĂ©e Ă la colline, Ă l’endroit exact oĂą se sĂ©pare le golfe, fut habitĂ©e par Azeddine Alaia et abrite aujourd’hui un musĂ©e qui est consacrĂ© Ă ce crĂ©ateur.
LĂ encore, je me projette dans l’espace virtuel d’une « zaouia », d’un sanctuaire oĂą sacrĂ© et profane cohabitent dans la beautĂ© des formes et des drapĂ©s.
Ici, des robes, des bustiers, des pantalons crĂ©es par Alaia tiennent lieu d’oriflammes et d’Ă©tendards du style. Dans le silence feutrĂ© et le jaillissement de la lumière, le regard se perd et se retrouve dans l’exubĂ©rance des couleurs.
IndĂ©niablement, ce lieu invite Ă la rĂ©flexion, au rapport que l’esthĂ©tique entretient avec le sacrĂ© et Ă la permanence des icĂ´nes que sont les crĂ©ateurs.
J’en regrette presque qu’il n’existe pas Ă Sidi Bou Said d’autres « zaouias » virtuelles qui soient dĂ©diĂ©es Ă Loran Gaspard ou encore Ă Michel Foucault qui, eux-aussi, ont vĂ©cu sur cette colline Ă nulle autre pareille.
Avec une pensĂ©e pour Paul ValĂ©ry qui passa par ici en 1956, mes pas me mènent jusqu’au cimetière marin qui surplombe la falaise.
Dans le dĂ©dale des tombes, je retrouve celle de Azzedine Alaia, discrète, presque effacĂ©e, repassĂ©e Ă la chaux de l’Ă©ternitĂ©.
Le créateur est inhumé aux côtés de sa mère et de son frère cadet, dans la modestie qui sied aux plus grands, à la confluence des éléments.
Je reviens ensuite vers les ruelles et les venelles les plus intimes de Sidi Bou Said, rĂŞvant Ă haute voix d’un projet artistique dans lequel je retracerais ces chemins symboliques et ferais renaĂ®tre dans la dĂ©ambulation des disciples cette aura des crĂ©ateurs, cette aurĂ©ole des nouveaux saints.
Mes pas me mèneraient alors partout, sur des chemins invisibles, Ă la rencontre des initiĂ©s, au chevet virtuel des nouveaux saints. Pas Ă pas comme pour une procession de tous les saints, une « kharja » symbolique sur le littoral des artistes, un moment suspendu que je dĂ©dierai bien sĂ»r Ă Alaia, Ben Abdallah, Foucault, Gaspar et tous les autres…
