Je ressens toujours un plaisir intense en me promenant à Carthage. La raison en est simple: le fait de circuler sur le même sol, au même endroit, entre plusieurs siècles, me revigore et nourrit.
A Carthage, il suffit de marcher quelques dizaines de mètres pour radicalement changer de siècle. Du cĂ´tĂ© de Byrsa, entre l’esplanade et le quartier punique, ce sont plusieurs siècles qu’on traverse en quelques pas. Et c’est le cas presque partout dans une Carthage qui en ressemblerait Ă un mille feuilles d’Ă©poques.
Cette sensation que je recherche souvent me saisit aussi Ă Tunis. Les matins, je me dirige en gĂ©nĂ©ral de Montfleury Ă Lafayette et au BelvĂ©dère. Pour cela, je traverse plusieurs quartiers Ă pied. Et, comme, de plus en plus, il m’arrive d’avoir des rendez-vous aux Berges du Lac, ces translations dans la ville me font traverser plusieurs siècles.
Ainsi, lorsque je marche dans Monfleury, tout dans ce quartier évoque le vingtième siècle: villas cossues, Art nouveau, anciens hôtels particuliers.
Il suffit de faire quelques pas et on se retrouve dans Bab el Fella. La porte historique y est invisible mais les marchĂ©s populaires, l’ambiance des faubourgs, plusieurs commerces, Ă©voquent en moi le dix-neuvième siècle que je connais grâce aux gravures et rĂ©cits d’Ă©poque.
La sensation est forte et, ici, je connais bien le quartier pour y avoir grandi. Le recul urbain y est clairement visible. Il faudrait d’ailleurs parler de dĂ©route urbaine, tellement on se croirait sorti de la ville, voire du siècle.
Sur l’autre versant de Tunis, dans le quartier des Berges du Lac, c’est le vingt et unième siècle, une ville nouvelle en pleine expansion, avec ses qualitĂ©s et ses dĂ©fauts. Ici, tout est tirĂ© au cordeau ou presque et constitue une Ă©chappĂ©e par rapport aux tissus urbains des autres quartiers de la ville.
Souvent, de Montfleury au Lac, en passant de Bab el Fella Ă Bab Bhar, du MarchĂ© central au centre-ville, il m’arrive de mĂ©diter sur notre ville siamoise, sur ce Tunis Ă cheval sur trois siècles.
J’y trouve d’autres nourritures mentales et toujours un enthousiasme qui me rappelle les promenades Ă Carthage, entre les boulevards invisibles de la ville romaine, ces « dĂ©cumanus » et ces « cardos », artères et passages que j’ai appris Ă voir sans les voir…
