Si la Tunisie peut être fière de sa République, l’Histoire de sa fondation attend encore d’être écrite de manière apaisée et objective.
Car, finalement, depuis plus de soixante ans, c’est le récit destourien, bourguibien à vrai dire, qui structure notre rapport à la République.
La fin des monarques husseinites et la déposition de Lamine Bey constituaient le dernier épisode dans la longue histoire d’une dynastie fondée par Hussein Ben Ali en 1705.
Aujourd’hui, il est temps de revenir sur tout ce que les siècles husseinites ont apporté à la Tunisie et le faire en dehors de la vulgate qui juge cette dynastie, seulement en regard du Protectorat français.
La profondeur historique devrait au contraire nous inciter à prendre la mesure de ce que les Husseinites ont réalisé, notamment lorsqu’il s’agit des rapports avec la Sublime Porte ottomane.
Car, c’est bien grâce à eux que la Tunisie a pu préserver son territoire, lui donner une autonomie et, de ce fait, jeter les bases d’un Etat national.
En lisant notre histoire contemporaine, en constatant la direction réformiste et moderniste choisie par plusieurs beys, il apparaît clairement que l’émergence d’une nation tunisienne est à mettre au crédit de cette dynastie qui a modelé le pays.
Avec la fondation de la République en 1957, les Husseinites sont entrés dans l’histoire. Ils seront stigmatisés durant de longues années. Et pourtant, Moncef Bey a été l’un des beys les plus populaires de l’histoire et son successeur, Lamine Bey est celui qui engagera les négociations pour l’autonomie interne et le processus menant à l’Indépendance.
On prêtait à Lamine Bey la volonté politique de fonder une monarchie constitutionnelle, ce qu’il n’aurait pas eu le temps de réaliser.
Aujourd’hui, deux Républiques plus tard, alors que les langues se sont déliées, nous pouvons lire de manière plus sereine et critique la démarche de Bourguiba à cette époque.
Certains historiens, spécialistes du mouvement national, affirment même que Bourguiba aurait eu à l’égard de Lamine Bey, l’attitude de Brutus envers César.
Ce ne sont que conjectures et il est malheureux que le principal témoin, Lamine Bey, ait été privé de ses droits et, partant, empêché de laisser un témoignage direct et un testament politique.
Qu’aurait pu dire Lamine Bey, après sa déposition, les restrictions à sa liberté et les humiliations subies par sa famille?
Qu’aurait dit Lamine Bey, peu avant sa mort, alors que la République fondée en 1957 prenait déjà un tournant autoritaire?
Qu’aurait dit Lamine Bey du projet de monarchie constitutionnelle dont on lui attribue la paternité?
Ce débat n’est toujours pas tranché ainsi que la spoliation de certains biens de la dynastie husseinite.
Ce débat continuera à se poser tant qu’il ne sera pas envisagé dans l’objectivité absolue et dans un esprit véritable de vérité et de réconciliation avec notre histoire.
Ce débat constitue toujours un blocage dans notre récit national et le fait qu’il ne soit pas pris en considération, continuera à nous mettre face à des scénarios de succession brutaux.
De la destitution de Lamine Bey à celle de Bourguiba, de la fuite de Ben Ali aux atermoiements de la Révolution, c’est un rapport fragilisé à la continuité républicaine que nous vivons.
Et tant que nous ne prendrons pas la mesure de cette tare dans notre histoire, les successions risquent de continuer à être heurtées et notre rapport à la République frappé du sceau de l’autoritarisme.
Car une République dans sa complétude passe aussi par une vérité assumée et clairement énoncée sur les conditions de sa fondation.