L’arrestation en France de Halima Ben Ali, fille cadette de l’ancien président, sur demande des autorités tunisiennes, remet sur le devant de la scène une question que la Tunisie n’a jamais vraiment tranchée : celle de sa mémoire politique. Quinze ans après la chute du régime autoritaire de Zine El-Abidine Ben Ali, pourquoi ses fantômes continuent-ils d’occuper une place aussi pesante dans l’actualité ?
La justice transitionnelle, censée permettre à la société tunisienne de solder le passé, semble n’avoir été qu’une parenthèse inachevée. Institutions fragiles, querelles partisanes et calculs politiques ont vidé le processus de sa substance. Résultat : ni justice rendue aux victimes, ni véritable réconciliation nationale. L’ancien régime n’a pas été digéré, il a simplement été relégué dans un angle mort, prêt à resurgir à la faveur de chaque épisode judiciaire ou médiatique.
L’affaire Halima Ben Ali illustre cette persistance. Loin d’être un simple fait divers, elle révèle l’incapacité du pays à tourner la page. Chaque convocation, chaque arrestation, chaque procédure déclenche les mêmes débats, les mêmes clivages, comme si la Tunisie restait prisonnière d’un passé mal réglé. Cette incapacité à clore le dossier Ben Ali empêche de projeter l’avenir : comment reconstruire un État de droit solide quand l’ombre d’un régime déchu continue de planer sur la justice et la politique ?
Il ne s’agit pas de réclamer l’oubli, encore moins l’impunité. Mais il s’agit de s’interroger : pourquoi la Tunisie n’a-t-elle pas réussi à transformer le « plus jamais ça » de 2011 en un socle de mémoire collective partagée ?
En vérité, l’échec de la justice transitionnelle est aussi un échec politique. Faute d’un projet clair, les gouvernants successifs ont préféré instrumentaliser le dossier du passé à des fins de légitimation ou de diversion. On convoque le spectre Ben Ali quand il s’agit de se donner une posture morale, mais on évite soigneusement de bâtir une véritable politique de mémoire.
L’affaire Halima Ben Ali (qui avait seulement 17 ans lorsqu’elle a quitté le pays en 2011) devrait être un rappel. Non pas celui d’un feuilleton judiciaire qui s’ajoute aux innombrables dossiers en suspens, mais celui d’une responsabilité collective : faire enfin face à l’histoire, pour libérer l’avenir. Car tant que les fantômes de l’ancien régime continueront de hanter la Tunisie, le pays restera incapable d’écrire un nouveau chapitre.