Daoud Abdel Sayed est décédé le 27 décembre 2025, au Caire, à l’âge de 79 ans.
Avec sa disparition, le cinéma égyptien perd l’un de ses réalisateurs majeurs. Né au Caire le 23 novembre 1946, il laisse derrière lui un parcours essentiel du cinéma arabe contemporain, construit dans la durée, avec rigueur, cohérence et fidélité à une certaine idée du cinéma.
Diplômé de l’Institut supérieur du cinéma du Caire, section réalisation, Daoud Abdel Sayed débute sa carrière comme assistant de grands réalisateurs égyptiens, parmi lesquels Youssef Chahine. Cette période constitue une étape déterminante de son parcours, tant sur le plan de l’apprentissage du travail sur le plateau que dans sa compréhension du cinéma comme espace de liberté artistique et de réflexion sur la société.
Il commence ensuite par le documentaire, un passage fondateur qui marquera durablement son cinéma de fiction. Cette expérience nourrit son attention au réel, aux comportements humains et aux mécanismes sociaux, sans jamais recourir à la démonstration ni à l’explication appuyée.
Son premier long métrage de fiction, La Recherche de Sayyid Marzouk (1989), raconte le parcours d’un homme ordinaire qui, à la suite d’un incident dans un café, se retrouve pris dans une suite d’événements absurdes et oppressants. Le film installe d’emblée un cinéaste attentif aux glissements de situation et aux rapports de pouvoir implicites, loin des schémas narratifs dominants du cinéma commercial.
Avec Al Kit Kat (1991), Daoud Abdel Sayed signe un film qui s’inscrit durablement dans la mémoire collective égyptienne. Situé dans un quartier populaire du Caire, le film dresse le portrait de ses habitants à travers le personnage central d’un homme aveugle, autour duquel se croisent des trajectoires individuelles, des aspirations et des frustrations.
En 1999, son parcours se poursuit avec La Terre de la peur, qui suit un policier envoyé en mission sous couverture dans le milieu de la drogue, dont les repères se brouillent à mesure que la mission se prolonge. Le film suscite de nombreux débats à sa sortie et s’impose progressivement comme l’une des œuvres marquantes du cinéma égyptien de la fin du XXᵉ siècle.
En 2001, il signe Le citoyen, l’indic et le voleur, qui met en scène l’enchevêtrement des trajectoires d’un écrivain, d’un homme lié à la police et d’un voleur, à partir du vol d’une voiture qui déclenche une série de relations personnelles, professionnelles et affectives. Dans ce film, Daoud Abdel Sayed engage deux jeunes acteurs encore à leurs débuts, et qui deviendront par la suite de très grandes stars : Khaled Abol Naga et la Tunisienne Hend Sabry, dont il s’agit de l’un de ses tous premiers rôles en Égypte. À cette époque, l’actrice tunisienne vient d’arriver dans le pays et n’est pas encore familière avec le dialecte égyptien. Pourtant, elle y livre une interprétation remarquée pour sa justesse, qui a ébloui les Égyptiens eux-mêmes.
En 2010, Daoud Abdel Sayed revient avec Messages de la mer, qui suit un homme solitaire vivant à Alexandrie, dont l’existence est bouleversée par la rencontre avec une femme mariée, à travers une relation fondée sur l’échange et l’intimité.
En 2015, il propose Qudrat ghayr adiya, qui raconte l’histoire d’un scientifique à la recherche d’êtres humains dotés de capacités extraordinaires, et qui croit trouver ce qu’il cherche dans un motel où se croisent des personnages très différents, chacun portant une histoire liée à cet aspect hors du commun.
Ces deux derniers films ont été sélectionnés aux Journées cinématographiques de Carthage. Par ailleurs, le festival a rendu hommage, en 2022, à Daoud Abdel Sayed, hommage auquel il n’a malheureusement pas pu assister pour des raisons de santé.
Tout au long de sa carrière, Daoud Abdel Sayed a remporté plusieurs prix, dont la Pyramide d’argent, le Prix du meilleur film arabe et le prix du meilleur scénario au Festival international du film du Caire en 1999 pour La Terre de la peur, le prix du Meilleur réalisateur en 2002 pour Le citoyen, l’indic et le voleur, ainsi que le prix du Meilleur réalisateur pour Messages de la mer en 2013 au Festival national du film égyptien du Caire.
Mais ces films font également partie de l’Histoire du cinéma arabe et égyptien et ont figuré à de bonnes places dans plusieurs classements. Parmi eux, la liste des 100 meilleurs films arabes, établie en 2013 à l’initiative du Festival international du film de Dubaï à partir d’un sondage mené auprès de 475 critiques, programmateurs et professionnels du cinéma arabe et international : trois films de Daoud Abdel Sayed figurent dans ce classement, attestant de l’importance de son œuvre dans le patrimoine cinématographique arabe, avec Al Kit Kat à la 8ᵉ place, La Terre de la peur à la 48ᵉ place et Messages de la mer à la 83ᵉ place.
Plus récemment, Messages de la mer et Le citoyen, l’indic et le voleur ont figuré aux deuxième et troisième places de la liste des 25 films égyptiens les plus marquants du premier quart du XXIᵉ siècle, classement établi par la FIPRESCI à l’occasion de son centenaire et rendu public lors du Festival international du film du Caire.
Au-delà de son œuvre, Daoud Abdel Sayed était un homme de dialogue. Pendant de longues années, tant que sa santé le lui permettait, il avait ses habitudes lors du Festival international du film du Caire, où il s’installait au Café El Hanager, au sein de l’Opéra du Caire. Sa table était un lieu d’échanges fréquenté par des réalisateurs, des acteurs, des critiques et des cinéphiles. Une passion commune les réunissait : le cinéma. Et Daoud Abdel Sayed aimait partager cette passion.
En janvier 2022, Daoud Abdel Sayed annonce officiellement sa retraite définitive du cinéma, expliquant son incapacité à s’adapter aux goûts dominants du public et à l’évolution de l’industrie cinématographique.
À l’annonce de sa disparition, le Festival international du film du Caire a publié un communiqué officiel rendant hommage au réalisateur disparu. Le festival y salue « l’un des figures majeures du cinéma égyptien et arabe », rappelant que Daoud Abdel Sayed a laissé « une empreinte durable dans l’histoire du septième art » et signé des œuvres qui ont façonné « la sensibilité de générations de cinéphiles », parmi lesquelles Al Kit Kat, Le Voleur de la joie, La Terre de la peur et Messages de la mer.
Dans ce communiqué, Hussein Fahmy, président du Festival international du film du Caire, déclare : « Avec la disparition de Daoud Abdel Sayed, le cinéma égyptien perd l’un de ses créateurs les plus importants, les plus sincères et les plus singuliers. Il était porteur d’une vision philosophique et humaine rare, et nous laisse des œuvres qui resteront des références en matière de beauté, de conscience et de sens. Il a contribué à ancrer l’idée du cinéma comme un art de la contemplation et de la réflexion sur l’être humain et la société. »
Le Festival international du film du Caire a également présenté ses condoléances à la famille du réalisateur, à ses proches, à ses élèves et au public du cinéma égyptien et arabe.
Par son parcours, par ses films, par la reconnaissance critique documentée de son œuvre et par la cohérence de ses choix, Daoud Abdel Sayed laisse l’image d’un très grand cinéaste et d’un très grand homme, dont la place dans l’histoire du cinéma égyptien et arabe est désormais établie.
Neïla Driss