Demain le Festival international du film du Caire (CIFF) donnera le coup d’envoi de sa 46ᵉ édition, qui se tiendra du 12 au 21 novembre 2025. L’événement s’annonce foisonnant, curieux et profondément ancré dans l’humain. Fidèle à sa tradition d’exigence et d’ouverture, le festival affirme cette année deux lignes fortes : célébrer un cinéma d’auteur attentif aux réalités du monde et faire de la mémoire une force vivante et partagée.
Cette orientation se manifeste dès la composition du jury international, présidé par Nuri Bilge Ceylan, l’un des plus grands cinéastes du cinéma contemporain, dont la filmographie – de Winter Sleep à Les herbes sèches – explore la lenteur, le silence et les territoires intérieurs. À ses côtés siègent la réalisatrice tunisienne Leyla Bouzid, l’actrice égyptienne Basma, la cinéaste égyptienne Nadine Khan, la monteuse italienne Simona Paggi, le réalisateur chinois Guan Hu et le Roumain Bogdan Mureșanu. Ensemble, ils départageront les douze films de la compétition internationale, où se croisent la mémoire, la résistance, l’amour et la solitude.
La compétition internationale affirme cette identité par des œuvres venues des quatre coins du monde. Calle Málaga de Maryam Touzani prolonge la veine intime inaugurée par Le Bleu du caftan, en suivant une femme partagée entre devoir, désir et culpabilité. Death Does Not Exist de Félix Dufour-Laperrière, film d’animation d’une beauté plastique rare, interroge la frontière entre la présence et l’absence. Dragonfly de Paul Andrew Williams aborde la compassion et la rédemption à travers une tragédie familiale. Exile de Mehdi Hmili, représentant la Tunisie dans cette compétition, suit le parcours d’un homme brisé qui tente de reconstruire sa vie après la prison, dans un pays marqué par l’injustice et les fractures sociales. Once Upon a Time in Gaza des frères Tarzan et Arab Nasser conjugue rage de vivre et humour noir au cœur d’un territoire meurtri. One More Show de Mai Saad et Ahmed Eldanf s’intéresse aux artistes de théâtre qui continuent de jouer malgré les crises. Renovation de Gabrielė Urbonaitė explore les silences d’un couple dont la maison, en travaux, devient métaphore du temps qui s’effrite. Sand City de Mahde Hasan mêle poésie et observation sociale dans un Bangladesh en mutation. Souraya, mon amour de Nicolas Khoury évoque le Liban contemporain à travers une histoire d’amour et de mémoire. The Silent Run de Marta Bergman suit une migrante qui fuit la guerre pour se réinventer ailleurs, et Zafzifa de Peter Sant clôt la sélection sur une méditation mélancolique où la nature reflète l’état du monde.
La présence tunisienne est particulièrement forte cette année. D’abord dans le jury, avec Leyla Bouzid, ensuite dans la compétition internationale grâce à Exile de Mehdi Hmili, mais aussi dans la compétition Horizons du cinéma arabe, qui accueille deux longs-métrages tunisiens. Round 13 de Mohamed Ali Nahdi (Tunisie, 2025, 102 min) suit un père de famille confronté à la maladie et aux bouleversements que celle-ci provoque dans ses relations avec les siens ; à travers ce récit intime, le film explore la fragilité, la solidarité et la dignité face à l’épreuve. Looking for Aida de Sarra Abidi (Tunisie, 2025, 89 min) se déroule quant à lui dans un centre d’appels où Aïda, marquée par le départ soudain d’un collègue qu’elle connaissait depuis des années, entame une réflexion sur le temps, l’amour et le sens de son existence. Portrait sensible d’une femme en quête d’elle-même, le film s’impose par sa pudeur et sa justesse. À cela s’ajoute la présence du projet tunisien Goodbye Party de Sarra El Abed à la Cairo Film Connection, confirmant la vitalité du cinéma tunisien dans toutes les sections du festival.
Le festival soigne également ses temps symboliques. La clôture sera marquée par La voix de Hind Rajab de Kaouther Ben Hania, inspiré de la tragédie palestinienne qui a bouleversé le monde en janvier 2024 : celle d’une fillette de six ans tuée par l’armée Israélienne dans sa voiture à Gaza, alors qu’elle appelait les secours. En choisissant ce film, le festival inscrit la Palestine au cœur de sa dernière image : un cri d’enfant devenu symbole de l’innocence perdue et de la violence des temps. Ce choix réaffirme la place du cinéma comme témoin, et celle du Caire comme voix du monde arabe.
Le CIFF 2025 rendra par ailleurs hommage à quatre figures majeures du cinéma mondial : Mohamed Abdel Aziz, artisan d’une comédie sociale exigeante ; Mahmoud Abdel Samie, chef opérateur et documentariste qui a accompagné un demi-siècle d’histoire visuelle égyptienne ; Ildikó Enyedi, cinéaste hongroise au lyrisme singulier, dont le nouveau film Silent Friend sera présenté hors compétition ; et Hiam Abbass, actrice et réalisatrice palestinienne, célébrée pour son parcours entre les deux rives de la Méditerranée. Chacun recevra la Pyramide d’or pour l’ensemble de sa carrière, un trophée qui relie patrimoine et modernité.
La section Cairo Classics demeure l’un des piliers du festival. Elle mettra à l’honneur les grandes restaurations du cinéma égyptien – Youssef Chahine, Salah Abu Seif, Kamal El Sheikh, Barakat, Hassan al-Imam – tout en ouvrant un dialogue avec des auteurs internationaux comme David Lynch, Diane Kurys ou Sam Kadi. L’invitation à revoir Sa’eed Effendi (1956), rare film irakien restauré, inscrit cette sélection dans une démarche patrimoniale et pédagogique. Des ateliers et panels autour de la restauration numérique, en partenariat avec Coventry University, viendront prolonger cette réflexion sur la mémoire du cinéma et la transmission.
Le centenaire de la FIPRESCI sera célébré par la présentation de vingt-cinq films égyptiens marquants du premier quart du XXIᵉ siècle, de I Love Cinema d’Osama Fawzy à Les messages de la mer de Daoud Abdel Sayed, L’Appartement d’Héliopolis de Mohamed Khan, Microphone d’Ahmad Abdalla ou L’Immeuble Yacoubian de Marwan Hamed. Une rétrospective qui redonne toute sa place à la modernité du cinéma égyptien et à la diversité de ses écritures.
Tournée vers l’avenir, la 46ᵉ édition inaugure Cairo’s XR, première section du festival consacrée aux nouvelles formes immersives. Réalité virtuelle, intelligence artificielle, installations interactives : autant de dispositifs pour raconter autrement, et pour faire du spectateur un acteur de l’expérience cinématographique.
Sur le versant professionnel, le festival lance Cairo Pro-Meet sous l’égide du Cairo Film Market. Ce nouveau hub de rencontres, de mentorat et de coproductions prolonge la dynamique de la Cairo Film Connection et confirme la place du Caire comme l’un des pôles les plus actifs de la région pour le développement des projets arabes.
Enfin, l’affiche officielle, dominée par une colombe portant un rameau d’olivier, incarne l’esprit de cette édition : un message de paix et d’espérance dans un monde traversé par les conflits. En réunissant mémoire, innovation, engagement et ouverture, le Festival international du film du Caire 2025 s’impose une fois encore comme un espace de dialogue entre les cinémas et les peuples, où l’art demeure un langage universel et une promesse de vie.
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