La Tunisie est entrée dans une phase démographique sans précédent. Selon les conclusions du recensement général de la population et de l’habitat 2024, publiées par l’INS en 2025, le pays connaît un vieillissement accéléré et une baisse historique de sa natalité. Près de 17 % de la population a désormais plus de 60 ans, un record, tandis que les mariages et les naissances sont en chute libre. Cette mutation profonde de la société tunisienne pose une question cruciale : comment le pays peut-il absorber un tel choc sans fragiliser son équilibre socio-économique ?
Une pyramide des âges modifiée
Les données de l’Institut National de la Statistique (INS) dessinent une Tunisie qui change de visage à un rythme inédit. L’augmentation de la part des seniors est spectaculaire, passant de 14 % il y a dix ans à 17 % aujourd’hui.
Dans le même temps, les fondements du renouvellement démographique s’effondrent :
- Le nombre de nouveaux-nés a chuté de 8 % par rapport à la décennie précédente.
- Le nombre de mariages annuels a diminué de près de 12 %, l’âge moyen au mariage progressant.
Cette réorganisation n’est pas uniforme. Elle est exacerbée par l’exode intérieur qui concentre les jeunes dans les grandes villes et laisse les régions de l’intérieur face à un vieillissement encore plus marqué. Ces chiffres traduisent un changement structurel bien au-delà des variations conjoncturelles.
Une réponse politique face à l’urgence
Face à la décrue des naissances, le gouvernement tunisien cherche activement à inverser la tendance. En juin 2025, le ministre de la Santé, Mustapha Ferjani, a insisté sur l’urgence d’établir une « stratégie nationale » claire. L’objectif est double : relancer la natalité et améliorer les indicateurs de croissance démographique, considérés comme vitaux pour l’équilibre socio-économique du pays.
Cette baisse démographique a déjà des répercussions concrètes et immédiates, notamment sur le système de santé. M. Ferjani a mis en garde sur la viabilité des services de maternité : pour être efficace et respecter les normes scientifiques, un service de gynécologie-obstétrique doit enregistrer au moins 300 naissances par an. Avec le recul actuel, ce seuil minimal risque de ne plus être atteint dans plusieurs structures hospitalières, menaçant la qualité et la continuité des soins.
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La société en mutation : Quand les jeunes retardent le foyer
Les raisons de ce recul démographique sont intrinsèquement liées à la modernisation de la société tunisienne et à ses difficultés économiques.
- Obstacles économiques : Le chômage, la précarité et l’explosion du coût du logement freinent la capacité des jeunes couples à envisager l’enfant.
- Facteurs socioculturels : L’émancipation des jeunes femmes est un facteur clé. Mieux éduquées et plus insérées sur le marché du travail, elles choisissent de retarder le mariage et la maternité, priorisant leur carrière et leur indépendance.
- Urbanisation : L’exode rural modifie les modes de vie et la structure familiale, les grandes villes offrant moins d’incitations aux familles nombreuses.
La Tunisie se retrouve ainsi à payer le prix d’un déséquilibre intergénérationnel complexe.
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Conséquences et perspectives : Le risque d’un vieillissement précoce
Si la Tunisie n’est pas la seule au Maghreb à vieillir (le Maroc et l’Algérie sont également concernés), elle le fait à un rythme plus soutenu et, surtout, sans disposer des filets sociaux robustes de certaines nations européennes qui présentent une pyramide des âges similaire.
Les conséquences sont lourdes :
- Pression fiscale : Le vieillissement met les systèmes de retraite et de santé sous une pression budgétaire sans précédent.
- Marché du travail : Le pays fait face au spectre d’une pénurie de jeunes actifs et d’une hausse de la dépendance des retraités.
Toutefois, ce défi peut se transformer en avantage stratégique. Une population plus réduite, si elle est mieux qualifiée grâce à des réformes éducatives et économiques, pourrait transformer ce risque en opportunité.
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La Tunisie est à la croisée des chemins. Pour surmonter ce défi inédit, elle doit trouver des réponses structurelles et durables qui permettront de préparer une société où la solidarité intergénérationnelle peut être maintenue face aux impératifs de l’économie et de la modernité.