Sous couvert de coopération énergétique et agricole, la visite express de Giorgia Meloni à Tunis confirme une chose : la Tunisie est devenue un enjeu stratégique majeur pour l’Italie, au croisement de ses préoccupations migratoires, sécuritaires et économiques.
Derrière les deux projets mis en avant — ELMED, future ligne électrique sous-marine, et Tanit, programme de réutilisation des eaux usées à des fins agricoles — se dessine une tentative italienne de stabilisation douce de son voisin du sud, via le levier du développement.
Une coopération technique à haute valeur politique
Sur le papier, les projets ELMED et Tanit relèvent d’une coopération classique : infrastructure énergétique, adaptation agricole, transfert de savoir-faire. Mais leur mise en avant conjointe par les deux chefs d’État — Giorgia Meloni et Kaïs Saïed — souligne un enchaînement plus stratégique : renforcer les capacités internes de la Tunisie pour endiguer l’instabilité et les départs.
- ELMED est un projet d’interconnexion électrique sous-marine entre Kélibia (Tunisie) et Partanna (Sicile), long de 220 km, d’une capacité de 600 MW. Cofinancé à hauteur de 307 millions d’euros par l’Union européenne, il ambitionne de relier les marchés énergétiques européens et nord-africains, tout en favorisant l’intégration des énergies renouvelables tunisiennes.
- Tanit, de son côté, vise à irriguer 11 500 hectares de terres domaniales en utilisant les eaux usées traitées de cinq stations d’épuration (El Attar, Melyan, Sfax, Enfidha, Agareb). Lancé officiellement en janvier 2025, il bénéficie d’un financement d’environ 2 millions de dinars et s’inscrit dans un objectif plus large : améliorer la résilience agricole tunisienne face à la sécheresse.
Le spectre de la migration irrégulière
En filigrane, c’est bien la question migratoire qui obsède Rome. Depuis son arrivée au pouvoir, Giorgia Meloni a fait de la réduction des flux migratoires en Méditerranée un pilier de son action extérieure. La Tunisie, à la fois pays de départ et de transit, cristallise cette inquiétude.
Le Plan Mattei — doctrine de politique africaine élaborée par l’Italie — entend conditionner l’aide au développement à la coopération migratoire. En clair : aider, mais à condition que les frontières soient tenues. La Tunisie, fragilisée économiquement, s’est vue proposer des soutiens sectoriels en échange d’un renforcement du contrôle des côtes. Le récent soutien au projet ELMED — qui n’a rien à voir avec la migration en apparence — s’inscrit aussi dans cette logique de contreparties implicites.
Un partenariat asymétrique mais indispensable
Ce renforcement de la coopération ne masque pas l’asymétrie des intérêts. Pour l’Italie, la Tunisie est un verrou. Pour la Tunisie, l’Italie est un canal d’accès — à l’Europe, aux financements, à la stabilité. Si les projets comme ELMED et Tanit dessinent une perspective de co-développement, ils n’en restent pas moins pilotés par les priorités européennes : sécuriser les approvisionnements, freiner les mobilités, exporter la transition énergétique.
La Tunisie, elle, tente de tirer parti de cet intérêt renouvelé, sans renoncer à une souveraineté politique de plus en plus affirmée. Selon la présidence tunisienne, Kaïs Saïed a notamment insisté sur la nécessité d’organiser des retours volontaires des migrants en situation irrégulière, dénonçant le poids croissant supporté par son pays et refusant que la Tunisie devienne un “couloir ou un lieu d’installation”. Il a également pointé l’inaction d’un système international “injuste”, dont les migrants — comme la Tunisie — seraient les victimes.
Une position qui réaffirme le refus de voir la coopération réduite à un simple outil de gestion migratoire, au détriment des priorités nationales tunisiennes.
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