Hier soir, lors de la clôture de la 45ème édition du Festival International du Film du Caire, le film égyptien Le printemps est venu en riant, réalisé par Noha Adel, a triomphé en remportant une mention spéciale du jury Horizons du cinéma arabe, et trois prix prestigieux : le Prix Henry Barakat pour la meilleure contribution artistique (ex-æquo), le Prix FIPRESCI de la critique internationale, et le Prix Salah Abu Seif pour la meilleure réalisation. Ce film, qui faisait ses débuts en compétition internationale, est le seul long-métrage égyptien sélectionné cette année. Avec une narration originale et un regard incisif sur la condition féminine, Le printemps est venu en riant offre une exploration poignante et artistique des complexités humaines.
Une mosaïque de récits entremêlés
Ce long-métrage déploie quatre histoires distinctes, reliées par la thématique commune du printemps, une saison qui, loin de se limiter à des images de renouveau et de joie, révèle ici des douleurs enfouies. Chaque récit commence dans un cadre ordinaire et familier, avant de basculer soudainement dans un chaos émotionnel où les masques sociaux tombent. Ces histoires reflètent les tensions inhérentes aux relations humaines, qu’elles soient familiales, amicales ou romantiques.
- Le mariage tardif : Un veuf et son fils rendent visite à leurs voisines, une veuve et sa fille. Ils passent un long moment à siroter du thé sur le balcon, à parler chanson, théâtre, cinéma… Le ton est convivial, léger et très poli. Lorsque le fils révèle qu’ils sont réellement venus demander la main de la mère pour le père, l’atmosphère change radicalement. La fille, jusque-là courtoise, explose de colère. Le ton change complètement, et ce ne sont plus que cris et invectives, entre les deux plus jeunes. La fille accuse sa mère de trahir la mémoire de son défunt époux et de ne pas penser aux répercussions sociales d’un tel mariage. Ce conflit met en lumière des blessures intergénérationnelles et des tabous familiaux, révélant les tensions entre devoir filial et quête de bonheur individuel.
- Les doutes d’une mariée : Le jour de son mariage, une jeune femme réalise qu’elle n’aime pas véritablement son futur époux. La tension atteint son paroxysme lorsqu’elle décide de dire « non ». La décision provoque un tumulte parmi les invités. La mère de la mariée en arrive à blâmer une invitée divorcée qu’elle accuse de « porter malheur » au couple. Cette dernière réagit avec une tirade acérée, dénonçant les préjugés tenaces et les superstitions oppressives envers les femmes divorcées. Cette scène intense dévoile des fractures profondes dans les mentalités et met en lumière la complexité des attentes sociales.
- Les amitiés fragiles : Lors d’un déjeuner d’anniversaire, un groupe d’amies se retrouve dans un restaurant élégant pour célébrer et bavarder, entourées d’une ambiance chaleureuse et de plats savoureux. Les éclats de rire fusent, mais peu à peu, les regards se durcissent. La conversation, d’abord légère, dérive vers des sujets délicats : un mensonge, une trahison, et enfin des infidélités sont dévoilés, provoquant stupeur et colère. L’atmosphère change radicalement, les échanges deviennent acerbes. Une des amies, qui semblait jusque-là discrète, finit par avouer un secret, amplifiant encore les tensions. Les liens autrefois solides se brisent, mettant en lumière la fragilité des relations et le poids des non-dits et malentendus qui se sont accumulés au fil des années.
- L’injustice quotidienne : Dans un salon de beauté animé et rempli de conversations légères, les employées s’affairent autour de clientes bavardant joyeusement. Soudain, les sourires s’effacent lorsqu’une cliente déclare que sa bague a disparu et accuse une manucure de la lui avoir volée. Celle-ci tente de se défendre en expliquant qu’elle n’a rien pris. Mais face à l’insistance de la cliente et au soutien tacite des autres, l’accusation devient une vérité implicite. Les murmures et les jugements fusent. Ce moment, empreint de tension et de malaise, dévoile des préjugés insidieux et une hiérarchie sociale implicite. Finalement, l’employée, injustement accusée, est contrainte de s’en aller. En cours de route, elle s’aperçoit que la bague est bien dans ses affaires, que va-t-elle faire? La rendre? Ou la garder par vengeance?
Une réalisation marquée par le printemps
Le printemps, symbole d’espoir et de renouveau, devient sous la direction de Noha Adel un thème ambigu. La réalisatrice explique qu’elle a choisi cette saison pour explorer les contrastes entre apparences et réalités : « Le printemps n’est pas seulement une époque joyeuse. Il peut être trompeur, révélant des tempêtes intérieures sous une façade de beauté. »
Ce choix se traduit à l’écran par une esthétique à la fois poétique et crue. Les paysages égyptiens et la musique traditionnelle servent de toile de fond à des scènes où la caméra, mobile et immersive, capte l’intimité des personnages. Chaque plan semble méticuleusement chorégraphié pour révéler la vérité cachée derrière le rire ou les larmes.
Un ancrage dans la culture égyptienne
Les chansons égyptiennes présentes dans le film jouent un rôle essentiel pour enraciner davantage l’histoire dans son contexte culturel. Ces mélodies, qu’elles soient nostalgiques ou entraînantes, renforcent l’identité locale de l’œuvre tout en établissant un lien émotionnel puissant avec le public. Elles agissent comme un fil conducteur, apportant des touches d’authenticité et rendant chaque scène encore plus immersive.
Une œuvre à forte dimension féminine
Le film repose sur une équipe majoritairement féminine, depuis la réalisation jusqu’à la production. Kawthar Younis, productrice du film, et qui y joue d’ailleurs le rôle de l’amie divorcée, souligne l’importance de donner une voix aux femmes à travers cette œuvre : « Nous voulions créer un espace où les émotions et les expériences des femmes puissent être explorées sans filtre. »
Les performances des actrices, souvent issues de milieux non professionnels, ajoutent une authenticité saisissante. Noha Adel a préféré des prises uniques pour capturer des émotions spontanées, renforçant ainsi l’impression de vivre les événements aux côtés des personnages.
Une réception mitigée mais engageante
Lors de sa première projection, le film a suscité des critiques, notamment de certaines spectatrices égyptiennes qui y ont vu une représentation négative de la femme égyptienne. Cependant, cette polarisation témoigne de l’impact de l’œuvre, capable de générer un débat sur des thèmes tabous et des réalités souvent occultées.
J’ai personnellement beaucoup aimé l’originalité de ce film complètement inattendu et inhabituel, où l’on voit à chaque fois une scène calme et ordinaire qui explose d’un coup avec beaucoup de force. J’ai également été frappée par la sincérité et la profondeur du film. Montrant des aspects réels de la vie, Le printemps est venu en riant réussit à capturer l’essence du cinéma : non pas enjoliver la réalité, mais la révéler dans toute sa complexité.
Avec Le printemps est venu en riant, Noha Adel livre un premier long-métrage audacieux et inoubliable, qui mérite amplement sa place au Festival International du Film du Caire. En explorant des thèmes universels à travers un prisme culturel égyptien, le film démontre que les histoires les plus locales peuvent résonner à l’échelle mondiale. C’est une œuvre qui invite à la réflexion et rappelle le pouvoir du cinéma de transcender les frontières, tant géographiques qu’émotionnelles.
Neïla Driss
Hier soir, lors de la clôture de la 45ème édition du Festival International du Film du Caire, le film égyptien Le printemps est venu en riant, réalisé par Noha Adel, a triomphé en remportant une mention spéciale du jury Horizons du cinéma arabe, et trois prix prestigieux : le Prix Henry Barakat pour la meilleure contribution artistique (ex-æquo), le Prix FIPRESCI de la critique internationale, et le Prix Salah Abu Seif pour la meilleure réalisation. Ce film, qui faisait ses débuts en compétition internationale, est le seul long-métrage égyptien sélectionné cette année. Avec une narration originale et un regard incisif sur la condition féminine, Le printemps est venu en riant offre une exploration poignante et artistique des complexités humaines.
Une mosaïque de récits entremêlés
Ce long-métrage déploie quatre histoires distinctes, reliées par la thématique commune du printemps, une saison qui, loin de se limiter à des images de renouveau et de joie, révèle ici des douleurs enfouies. Chaque récit commence dans un cadre ordinaire et familier, avant de basculer soudainement dans un chaos émotionnel où les masques sociaux tombent. Ces histoires reflètent les tensions inhérentes aux relations humaines, qu’elles soient familiales, amicales ou romantiques.
- Le mariage tardif : Un veuf et son fils rendent visite à leurs voisines, une veuve et sa fille. Ils passent un long moment à siroter du thé sur le balcon, à parler chanson, théâtre, cinéma… Le ton est convivial, léger et très poli. Lorsque le fils révèle qu’ils sont réellement venus demander la main de la mère pour le père, l’atmosphère change radicalement. La fille, jusque-là courtoise, explose de colère. Le ton change complètement, et ce ne sont plus que cris et invectives, entre les deux plus jeunes. La fille accuse sa mère de trahir la mémoire de son défunt époux et de ne pas penser aux répercussions sociales d’un tel mariage. Ce conflit met en lumière des blessures intergénérationnelles et des tabous familiaux, révélant les tensions entre devoir filial et quête de bonheur individuel.
- Les doutes d’une mariée : Le jour de son mariage, une jeune femme réalise qu’elle n’aime pas véritablement son futur époux. La tension atteint son paroxysme lorsqu’elle décide de dire « non ». La décision provoque un tumulte parmi les invités. La mère de la mariée en arrive à blâmer une invitée divorcée qu’elle accuse de « porter malheur » au couple. Cette dernière réagit avec une tirade acérée, dénonçant les préjugés tenaces et les superstitions oppressives envers les femmes divorcées. Cette scène intense dévoile des fractures profondes dans les mentalités et met en lumière la complexité des attentes sociales.
- Les amitiés fragiles : Lors d’un déjeuner d’anniversaire, un groupe d’amies se retrouve dans un restaurant élégant pour célébrer et bavarder, entourées d’une ambiance chaleureuse et de plats savoureux. Les éclats de rire fusent, mais peu à peu, les regards se durcissent. La conversation, d’abord légère, dérive vers des sujets délicats : un mensonge, une trahison, et enfin des infidélités sont dévoilés, provoquant stupeur et colère. L’atmosphère change radicalement, les échanges deviennent acerbes. Une des amies, qui semblait jusque-là discrète, finit par avouer un secret, amplifiant encore les tensions. Les liens autrefois solides se brisent, mettant en lumière la fragilité des relations et le poids des non-dits et malentendus qui se sont accumulés au fil des années.
- L’injustice quotidienne : Dans un salon de beauté animé et rempli de conversations légères, les employées s’affairent autour de clientes bavardant joyeusement. Soudain, les sourires s’effacent lorsqu’une cliente déclare que sa bague a disparu et accuse une manucure de la lui avoir volée. Celle-ci tente de se défendre en expliquant qu’elle n’a rien pris. Mais face à l’insistance de la cliente et au soutien tacite des autres, l’accusation devient une vérité implicite. Les murmures et les jugements fusent. Ce moment, empreint de tension et de malaise, dévoile des préjugés insidieux et une hiérarchie sociale implicite. Finalement, l’employée, injustement accusée, est contrainte de s’en aller. En cours de route, elle s’aperçoit que la bague est bien dans ses affaires, que va-t-elle faire? La rendre? Ou la garder par vengeance?
Une réalisation marquée par le printemps
Le printemps, symbole d’espoir et de renouveau, devient sous la direction de Noha Adel un thème ambigu. La réalisatrice explique qu’elle a choisi cette saison pour explorer les contrastes entre apparences et réalités : « Le printemps n’est pas seulement une époque joyeuse. Il peut être trompeur, révélant des tempêtes intérieures sous une façade de beauté. »
Ce choix se traduit à l’écran par une esthétique à la fois poétique et crue. Les paysages égyptiens et la musique traditionnelle servent de toile de fond à des scènes où la caméra, mobile et immersive, capte l’intimité des personnages. Chaque plan semble méticuleusement chorégraphié pour révéler la vérité cachée derrière le rire ou les larmes.
Un ancrage dans la culture égyptienne
Les chansons égyptiennes présentes dans le film jouent un rôle essentiel pour enraciner davantage l’histoire dans son contexte culturel. Ces mélodies, qu’elles soient nostalgiques ou entraînantes, renforcent l’identité locale de l’œuvre tout en établissant un lien émotionnel puissant avec le public. Elles agissent comme un fil conducteur, apportant des touches d’authenticité et rendant chaque scène encore plus immersive.
Une œuvre à forte dimension féminine
Le film repose sur une équipe majoritairement féminine, depuis la réalisation jusqu’à la production. Kawthar Younis, productrice du film, et qui y joue d’ailleurs le rôle de l’amie divorcée, souligne l’importance de donner une voix aux femmes à travers cette œuvre : « Nous voulions créer un espace où les émotions et les expériences des femmes puissent être explorées sans filtre. »
Les performances des actrices, souvent issues de milieux non professionnels, ajoutent une authenticité saisissante. Noha Adel a préféré des prises uniques pour capturer des émotions spontanées, renforçant ainsi l’impression de vivre les événements aux côtés des personnages.
Une réception mitigée mais engageante
Lors de sa première projection, le film a suscité des critiques, notamment de certaines spectatrices égyptiennes qui y ont vu une représentation négative de la femme égyptienne. Cependant, cette polarisation témoigne de l’impact de l’œuvre, capable de générer un débat sur des thèmes tabous et des réalités souvent occultées.
J’ai personnellement beaucoup aimé l’originalité de ce film complètement inattendu et inhabituel, où l’on voit à chaque fois une scène calme et ordinaire qui explose d’un coup avec beaucoup de force. J’ai également été frappée par la sincérité et la profondeur du film. Montrant des aspects réels de la vie, Le printemps est venu en riant réussit à capturer l’essence du cinéma : non pas enjoliver la réalité, mais la révéler dans toute sa complexité.
Avec Le printemps est venu en riant, Noha Adel livre un premier long-métrage audacieux et inoubliable, qui mérite amplement sa place au Festival International du Film du Caire. En explorant des thèmes universels à travers un prisme culturel égyptien, le film démontre que les histoires les plus locales peuvent résonner à l’échelle mondiale. C’est une œuvre qui invite à la réflexion et rappelle le pouvoir du cinéma de transcender les frontières, tant géographiques qu’émotionnelles.
Neïla Driss