Cannes 2024 – The Substance : Une expĂ©rience cinĂ©matographique immersive et intense
« Ô mon Dieu, quel film ! » Telles furent mes premières pensĂ©es en sortant de la projection de The Substance, le chef-d’Ĺ“uvre de Coralie Fargeat. PrĂ©sentĂ© en compĂ©tition au 77e Festival de Cannes, ce film fantastique franco-amĂ©ricain d’une durĂ©e de 2h20, avec Demi Moore, Margaret Qualley, Dennis Quaid et Hugo Diego Garcia, est bien plus qu’une simple Ĺ“uvre cinĂ©matographique : c’est une expĂ©rience immersive, bouleversante et inoubliable.
Elisabeth Sparkle, interprĂ©tĂ©e par Demi Moore, est une ancienne grande star de cinĂ©ma oubliĂ©e et reconvertie en gourou de l’aĂ©robic. Le jour de ses 50 ans, elle est brutalement renvoyĂ©e de son Ă©mission par son patron, incarnĂ© par Dennis Quaid, sous prĂ©texte qu’elle est devenue trop vieille. DĂ©vastĂ©e, Elisabeth rentre chez elle oĂą elle reçoit une offre intrigante : un mystĂ©rieux laboratoire lui propose une « substance » miracle qui lui permettrait de devenir une version plus jeune, plus belle et plus parfaite d’elle-mĂŞme.
Cependant, il y a des conditions d’utilisation strictes. Elisabeth doit alterner entre ses deux versions – la jeune Sue (interprĂ©tĂ©e par Margaret Qualley) et sa vĂ©ritable forme – exactement tous les sept jours. De plus, les deux versions doivent savoir et ne jamais oublier qu’elles sont une seule et mĂŞme personne. Le respect strict de ces conditions est crucial, sans quoi les consĂ©quences pourraient ĂŞtre dĂ©sastreuses. TentĂ©e par l’opportunitĂ© de retrouver sa jeunesse, Elisabeth accepte. Rapidement, une jalousie destructrice s’installe entre les deux versions d’Elisabeth, soulevant des questions profondes sur l’acceptation de soi et la peur de vieillir. Est-ce que cela signifie que les personnes qui refusent leur propre vieillesse et font tout pour rester jeunes finissent par ne plus s’aimer et s’accepter elles-mĂŞmes? On pourrait se poser la question. Cette rivalitĂ© entre les deux versions d’Elisabeth mène inĂ©vitablement Ă la catastrophe, plongeant Elisabeth dans un cauchemar viscĂ©ral et sanglant.
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The Substance explore de manière poignante la peur de la vieillesse et le culte de la jeunesse. Le personnage d’Elisabeth, interprĂ©tĂ© par Demi Moore, incarne cette lutte acharnĂ©e contre les signes du temps. Le film met en lumière les pressions sociĂ©tales imposĂ©es aux femmes pour rester Ă©ternellement jeunes et sĂ©duisantes. Coralie Fargeat utilise cette thĂ©matique pour crĂ©er une critique acerbe et visuellement percutante de cette obsession moderne.
L’injection de la substance miraculeuse et la transformation qui en dĂ©coule ne sont pas seulement des Ă©lĂ©ments de body horror, mais aussi des mĂ©taphores puissantes de la vanitĂ© et de la quĂŞte de perfection. La douleur et les transformations corporelles subies par Elisabeth/Sue symbolisent les sacrifices souvent invisibles que les femmes font pour correspondre aux standards de beautĂ© imposĂ©s par la sociĂ©tĂ©. Cette exploration est rendue encore plus percutante par la performance courageuse et intense de Demi Moore, qui accepte de se mettre Ă nu, au sens figurĂ© et propre, pour ce rĂ´le.
Le film s’attaque Ă©galement Ă la folie de la chirurgie esthĂ©tique et des traitements anti-âge. En mettant en scène Elisabeth et Sue, The Substance critique ceux qui usent et abusent des divers botox, acides et chirurgies, jusqu’Ă parfois en devenir hideux. Cette course effrĂ©nĂ©e pour garder une apparence jeune est montrĂ©e sous un jour impitoyable, rĂ©vĂ©lant les consĂ©quences physiques et psychologiques de ces pratiques.
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Coralie Fargeat dĂ©montre une maĂ®trise impeccable de la rĂ©alisation. Chaque scène est construite avec une prĂ©cision chirurgicale pour maximiser l’impact visuel et Ă©motionnel. Les effets spĂ©ciaux, le maquillage, et surtout le travail sonore crĂ©ent une immersion totale. La rĂ©alisatrice sait exactement oĂą elle veut emmener son public. Elle maĂ®trise chaque plan, chaque dĂ©cor et chaque action, crĂ©ant un environnement oĂą la tension monte sans relâche. Cette progression narrative, implacable et impeccablement exĂ©cutĂ©e, maintient l’audience sur le fil du rasoir, dans un Ă©tat de suspense constant. Pas un seul moment de rĂ©pit n’est offert au spectateur. Chaque scène nous rapproche du point de non-retour, oĂą la rĂ©alitĂ© se mĂŞle Ă la folie. L’apothĂ©ose du film est un dĂ©luge de sang et de gore, un hommage direct Ă Carrie au bal du diable (1976) de Brian De Palma, oĂą les limites de l’horreur sont repoussĂ©es Ă l’extrĂŞme. Mais au-delĂ de cette hĂ©moglobine, c’est la maĂ®trise narrative et visuelle de Fargeat qui impressionne. Chaque Ă©lĂ©ment de cette conclusion est calculĂ© avec minutie, chaque goutte de sang a un but, chaque cri et chaque coup sont chorĂ©graphiĂ©s avec une prĂ©cision remarquable.
Les performances des acteurs sont Ă la hauteur de cette rĂ©alisation magistrale. Demi Moore brille dans le rĂ´le complexe d’Elisabeth. Son interprĂ©tation est Ă la fois vulnĂ©rable et puissante, offrant une profondeur Ă©motionnelle qui rend son personnage incroyablement rĂ©el. Demi Moore, qui a acceptĂ© de sortir de sa zone de confort pour ce rĂ´le, livre une performance qui souligne son talent et son courage en tant qu’actrice.
Margaret Qualley, en tant que Sue, apporte une Ă©nergie vibrante et sĂ©duisante Ă l’Ă©cran. Son interprĂ©tation de la version plus jeune et plus parfaite d’Elisabeth est Ă la fois charmante et inquiĂ©tante, capturant parfaitement la dualitĂ© de son personnage. Elle a la jeunesse, mais aussi l’expĂ©rience d’Elisabeth, elle sait que le temps courre et veut profiter au maximum tant qu’elle est belle et sexy.
Dennis Quaid, dans le rĂ´le du patron impitoyable, ajoute une couche de menace et de tension au rĂ©cit, renforçant l’atmosphère oppressante du film.
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The Substance n’est pas seulement un film d’horreur, c’est aussi une rĂ©flexion profonde sur la sociĂ©tĂ© moderne. Il interroge notre obsession pour la jeunesse et la beautĂ©, et les extrĂŞmes auxquels nous sommes prĂŞts Ă aller pour les prĂ©server. Coralie Fargeat rĂ©ussit Ă marier horreur viscĂ©rale et critique sociale, offrant une Ĺ“uvre qui est Ă la fois divertissante et stimulante sur le plan intellectuel.
Le film repousse les limites du genre, proposant des scènes d’horreur graphique qui ne sont jamais gratuites mais toujours au service de la narration. Chaque scène de transformation, chaque moment de tension est soigneusement orchestrĂ© pour maintenir le spectateur en Ă©tat de choc et de rĂ©flexion.
Un aspect technique notable du film est son lieu de tournage. Bien que l’intrigue se dĂ©roule Ă Hollywood, The Substance a Ă©tĂ© entièrement tournĂ© en France, sur la CĂ´te d’Azur. La rĂ©alisatrice a rĂ©ussi le tour de force de faire croire que l’histoire se passe entièrement Ă Hollywood, grâce Ă une attention mĂ©ticuleuse aux dĂ©tails des dĂ©cors.
The Substance est une œuvre audacieuse et brillante qui ne laisse personne indifférent. C’est un film qui secoue, qui interroge, et qui reste gravé dans la mémoire bien après le visionnage.
Coralie Fargeat signe un film marquant, alliant horreur viscérale et critique sociale, offrant également une réflexion profonde sur notre société obsédée par la jeunesse et la perfection et méritant ainsi pleinement sa place parmi les grands du cinéma de genre. La réalisation impeccable, les performances exceptionnelles des acteurs, et la profondeur thématique font de ce film une expérience cinématographique inoubliable.
Pour moi, incontestablement, c’est le film qui mĂ©rite la Palme d’Or. Est-ce que le jury sera du mĂŞme avis? Et si la quatrième Palme d’Or pour une rĂ©alisatrice Ă©tait celle-ci? Une nouvelle Palme pour un film d’horreur d’une rĂ©alisatrice après Titane de Julia Ducournau en 2021 ?
NeĂŻla Driss
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