Le seizième siècle a été celui d’une lutte entre Espagnols et Ottomans pour la prépondérance en Méditerranée occidentale.
C’est le 15 juillet 1574 que les troupes ottomanes ont débarqué à Tunis pour s’emparer de la forteresse de La Goulette. Il faudra deux mois de combats entre Ottomans et Espagnols pour que les premiers l’emportent et puissent bloquer l’accès maritime vers la ville.
Simultanément, par voie de terre, des renforts venus aussi bien d’Alger que de Tripoli allaient permettre de contrôler les accès terrestres vers la capitale.C’est ainsi que le 23 août 1574, la prise totale de La Goulette est achevée alors que les troupes ottomanes entreront à Tunis le 3 septembre.
C’est par la suite que la Tunisie sera rattachée au beylerbey et placée sous occupation. Le pays sera alors dirigé à partir d’Alger où se trouvait le siège du beylerbey d’Afrique. Plus tard en 1584, Tunis accédera au rang de province (iyala) indépendante d’Alger et Tripoli.
La mosquée Youssef Dey
A partir de cette date, la province de Tunis sera dotée de ses propres organes, avec un wali représentant le sultan, une milice commandée par le diwan et un qadhi pour rendre la justice. Peu à peu, le diwan prendra le pas sur le wali et finira par instaurer un pouvoir des deys qui dirigeront la province jusqu’en 1637.
C’est en 1591 que les deys ottomans ont pris le pouvoir dans la Tunisie de cette époque. En effet, après s’être soulevés contre la tyrannie de leurs chefs, les janissaires ont instauré le gouvernement des deys.
Le premier de ces deys qui ont gouverné le pays se nomme Brahim Rodesli. Il portait ce nom car il était originaire de l’île de Rhodes. Elu dey par ses pairs en 1591, il restera au pouvoir durant trois années puis s’enfuira du pays, profitant d’un pèlerinage en terre sainte pour ne plus revenir.
C’est Moussa Dey qui lui succédera mais ne restera que brièvement au pouvoir. Contesté par les janissaires, il quittera lui aussi le pays. Avec Othman Dey dont la demeure historique se trouve dans la médina de Tunis à la rue Mbazza, près du quartier des Teinturiers, c’est un nouveau dey qui accède au pouvoir.
Ce troisième dey de notre histoire s’affirmera et restera au pouvoir de 1593 à 1610. Il prendra la mesure des janissaires, implantera des garnisons à l’intérieur du pays et déjouera plusieurs complots le visant.
C’est Othman Dey qui accueillera les Morisques chassés d’Espagne et les installera dans les régions fertiles pour bénéficier de leur savoir-faire. Othman Dey armera aussi des bateaux corsaires dont les revenus allaient soutenir son effort de modernisation.
A sa mort, c’est Youssef Dey qui lui succède et qui gardera le pouvoir de 1610 à 1637. Ce dernier est un ancien janissaire qui avait épousé la fille de Othman Dey. Nous lui devons la mosquée qui porte toujours son nom et se trouve sur les hauteurs de la médina de Tunis.
Youssef Dey allait clairement établir les frontières du pays et mènera pour cela deux affrontements armés avec l’Algérie qui aboutiront à la signature, en 1614 et 1628, de traités délimitant les frontières ouest de la Tunisie. C’est lui aussi qui ramènera Djerba dans le giron tunisien après que Dragut l’ait rattachée à la Tripolitaine.
A sa mort en 1637, c’est Osta Moratto qui lui succédera et ouvrira la voie à la prise du pouvoir par la dynastie beylicale des Mouradites qui régnera jusqu’à l’avènement des Husseinites.
Dans la médina de Tunis, la rue du Dey a conservé la mémoire de ces hauts dignitaires ottomans qui avaient gouverné notre pays au nom de la Sublime Porte. Notre mémoire a surtout le souvenir de Youssef Dey et Othman Dey mais ils furent nombreux à porter cette responsabilité.
Cette rue du Dey se trouve non loin de la mosquée El Ksar et de Dar Hussein. Elle n’est pas la seule artère tunisoise à perpétuer la mémoire des dignitaires de l’Empire ottoman. En effet, la rue du Pacha est la plus emblématiques de ces rues. Elle mène de la médina centrale, place Ramadan Bey, à la place Bab Souika. A l’origine, cette rue se nommait rue Dar el Bacha, autrement dit rue de la maison du Pacha.
Cette rue du Pacha a-t-elle été ainsi nommée car elle menait jusqu’à la résidence de Kheireddine Pacha ? Comme le veut la légende a-t-elle été nommée ainsi car il l’empruntait pour remonter jusqu’à la Kasbah ? Le nom de cette rue est-il antérieur encore ? Difficile à savoir.
Toutefois, la rue du Divan qui se trouve non loin est celle où se trouvait l’assemblée des dignitaires ottomans, le fameux Divan qui de nos jours, abrite une bibliothèque. Le terme s’écrit « divan » en français mais se prononce « diwan ». En tout état de cause, le pacha était le représentant du gouvernement ottoman à Tunis.
La rue de l’Agha se trouve dans les environs également. Cette fonction de « agha » consistait sous les Ottomans au commandement militaire de la milice turque des janissaires. Au fil des ans, les pouvoirs de l’agha se sont considérablement dilués et il avait fini par n’avoir que des fonctions administratives.
Dans le même esprit, la rue el Kahia renvoie à un autre de ces dignitaires ottomans. Le Kahia était l’adjoint au sein de la hiérarchie militaire.
Toutes ces rues de la médina renvoient aussi à des noms de famille d’origine turque. Ainsi, les Khodja, Bach Hamba, Bach Tobji trouvent leur source dans des fonctions militaires. Le Bach Hamba est ainsi le chef d’une patrouille. Le Bach Tobji est le chef des artilleurs. Le Khodja est un dignitaire de l’administration dont la fonction s’est déclinée dans les patronymes Khodja, Khouadja ou Khodjet el Khil. En outre, les fonctions de Agha, Dey, Pacha, Kahia ou Bey se sont également transmises en tant que patronymes portés de nos jours encore par de nombreux Tunisiens d’ascendance turco-ottomane.