Cela fait trois jours que le festival de Cannes a débuté et tous s’accordent pour dire que la sélection de 2019 est exceptionnelle. Tous les jours, de très beaux films sont programmés. Mais hier, celui qui a le plus ému est Papicha réalisé par Mounia Meddour, dont la projection a été suivie par une bonne dizaine de minutes de standing ovation. Plusieurs spectateurs étaient tellement émus qu’ils pleuraient encore bien après le générique de fin.
Papicha – Standing ovation
Papicha, premier long métrage de la jeune Mounia Meddour, est en compétition dans la section Un Certain Regard et concoure également pour la Caméra d’Or qui récompense le meilleur premier film.
Synopsis: Algérie, années 90. Nedjma, 18 ans, étudiante habitant la Cité Universitaire d’Alger, rêve de devenir styliste. À la nuit tombée, elle se faufile à travers les mailles du grillage de la Cité avec ses meilleures amies pour rejoindre la boîte de nuit où elle vend ses créations aux « papichas », jeunes filles algéroises. La situation politique et sociale du pays ne cesse de se dégrader. Refusant cette fatalité, Nedjma décide d’organiser un défilé de mode, envers et contre tout.
Librement inspiré de faits réels, Papicha à travers l’histoire de jeunes étudiantes résidant en cité universitaire, raconte la lutte des femmes algériennes pendant la décennie noire, confrontées à la radicalisation de la société et à la montée de l’islamisme.
Papicha est un très beau film, très émouvant, très bien construit. Il avance graduellement et montre l’évolution et la transformation de la société. Le rythme est maintenu jusqu’à la fin.
Au début du film, les étudiantes étaient relativement libres et arrivaient à sortir facilement de la cité universitaire. Elles devaient juste traverser un grillage et soudoyer le gardien. Mais au fur et à mesure que le film avance, elles ont des difficultés. On a même construit un mur en béton pour les empêcher de sortir. On les emmure vivantes.
Leur corps est également emprisonné petit à petit. Des affiches conseillant le voile et vantant ses mérites, sont collées tout d’abord à l’extérieur de l’université, ensuite elles orneront les murs intérieurs, les salles de cours, le réfectoire et vont même suivre les jeunes femmes où qu’elles aillent. Elles doivent cacher leur corps, leur dit-on, pour être pures et bonnes musulmanes.
Ces Papichas (terme utilisé pendant les années 1990 pour désigner les jeunes femmes émancipées, débrouillardes, libres, dynamiques…) vont se solidariser entre elles pour essayer de surmonter toutes les difficultés qu’elles rencontrent.
Confrontées à la mort et au terrorisme, elles vont mener un combat : organiser un défilé de mode au sein de l’université, mais il s’agit en réalité d’un combat pour défendre leurs libertés et même leurs vies. Le défilé se fera en utilisant le haïk. La réalisatrice a expliqué que ce choix n’est pas anodin. Pendant la colonisation, les femmes faisaient passer des armes sous leurs haïks. Elles luttaient déjà contre l’occupant étranger, elles continuent donc cette lutte contre l’obscurantisme.
Un autre thème important est abordé par le film : l’appartenance à un pays. Nedjma aime son pays et le dit. Elle ne veut pas le quitter. Pourtant nombreux sont ceux qui partent. Ils ne voient plus d’avenir en Algérie et rêvent d’aller ailleurs. Mais Nedjma s’y refuse obstinément. Son pays a changé, elle ne le reconnait plus, elle ne reconnait plus les gens qui l’entourent, la violence est partout, le désespoir aussi, mais elle s’y accroche. Elle s’accroche à sa terre. Elle s’y implante. Elle lui appartient.
Est-ce que la décennie noire est bien derrière l’Algérie ? Est-ce que les leçons ont été tirées ? On le saura dans quelques années.
En tant que tunisienne, ce film m’a beaucoup émue. Ce qui est le passé de l’Algérie me semble être le présent de la Tunisie, même si la radicalisation de la société n’est pas aussi violente. En réalité, en Tunisie, on est peut-être dans le cas de la fable de la grenouille cuite. Et demain, il sera peut-être trop tard pour réagir…
Neïla Driss
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