Oumeima Bahri est en plein travail créatif. Elle sera sur les planches le 20 février à El Teatro, avec sa nouvelle création.
Intitulée « Fragments », cette oeuvre sera présentée dans le cadre du festival des premières chorégraphies et devrait confirmer l’élan actuel de la danseuse Oumeima Bahri.
En attendant ce rendez-vous avec le public, l’artiste continue à travailler, produire, réfléchir. Elle était vendredi 12 février à la station d’art B7L9 pour y présenter une improvisation née du moment et de la conjoncture.
Intitulée « Jail Bird », cette oeuvre éphémère est un rebond artistique sur la situation de plusieurs jeunes manifestants actuellement en prison.
Si leur libération a mobilisé la société civile, elle a aussi inspiré Oumeima Bahri. Car, entre danse et pantomime, « Jail Bird » est un plaidoyer muet sur un fil tendu.
Aucun artifice, ni décor ni musique. Simplement un corps captif mais en mouvement. Un corps qui, à côté d’une peluche, se contorsionne pour échapper à une geôle symbolique dont le pourtour est tracé sur le sol.
Le personnage entre en scène après une lente déambulation. Portant la tenue orange des prisonniers, la danseuse commence par des gestes saccadés, une sorte de prostration à laquelle elle finit par échapper.
Très symboliquement, elle quitte le costume orange et continue son improvisation avant de quitter la scène, libre de toute entrave, mystérieuse et toujours silencieuse.
Tout au long de cette improvisation de trente minutes, Oumeima Bahri tout en ne se souciant pas de perfection, parvient à un palier de performance remarquable.
Au milieu du public, elle danse, inspirée et aérienne, survolant sa prison métaphorique pour célébrer le corps et la liberté.
De fait, cette chorégraphie peut être assimilée à la chronique d’une désincarcération, à une anabase qui peut être analysée de diverses manières.
Ce corps prisonnier qui se livre au public et se résout à danser pour survivre, n’est-il pas au fond cet otage de la caverne platonicienne ? N’est-ce pas là la dialectique soufie entre le dedans et le dehors, l’âme et le corps ?
La danse est toujours spiritualité et Oumeima Bahri nous le rappelle subtilement en passant d’une station à l’autre, en induisant l’élévation mystique lorsque le corps est emprisonné, ligoté, pris en otage.
Ce niveau de lecture est inséparable de la performance de Oumaima Bahri. L’artiste improvise mais ne dit rien. Son corps exprime une situation mais elle ne livre aucune clé de lecture.
Seul l’accoutrement de couleur orange et le titre de l’improvisation suggèrent le plaidoyer. Hormis ces deux signifiants, tout est liberté dans cette oeuvre : liberté de l’artiste et aussi liberté essentielle du public qui, emporté par le mouvement de la danse, ne se soucie plus de rationalité mais puise dans les gisements de l’émotion.
Que la prison suggérée soit celle de l’intériorité ou celle d’un cachot, le travail du chorégraphe parvient à libérer le sens et les yeux.
Seul le corps en mouvement importe. Un corps sans artifice et face à son destin, sa fragilité et le désir qui le tend. Et l’on se prend à penser à ces prisonniers qui attendent leur libération, à l’engagement de l’artiste qui choisit cet argument dansé à ce moment précis, dans l’urgence et sur fond de mobilisation.
Et l’on se prend à imaginer Oumeima Bahri, portée par la foule des manifestants, dansant sur les avenues, protestant de tout son corps, chorégraphiant la liberté de penser.
« Jail Bird » est une performance à haute teneur suggestive. Chaque geste compte dans cette improvisation au millimètre qui laisse découvrir toute la puissance de la danse. Et tout le talent d’une artiste dont la danse est chevillée à son corps jubilatoire.