C’est le type mĂŞme de la mauvaise bonne idĂ©e ! Un peu comme lorsqu’on dit que l’enfer est pavĂ© de bonnes intentions…
L’attitude sournoise de Ben Ali en voleur de lĂ©gitimitĂ©
J’ose me demander quelle mouche vient de piquer le prĂ©sident de la RĂ©publique pour dĂ©cider, sans autre forme de procès, de transfĂ©rer la statue de Bourguiba Ă cheval, de la Goulette au centre-ville, oĂą, il est vrai, elle se trouvait avant d’ĂŞtre sournoisement dĂ©placĂ©e par un Ben Ali, jalousant Bourguiba et cherchant Ă lui voler sa lĂ©gitimitĂ©.
Poudre aux yeux et écrans de fumée
A quoi sert ce nouveau transfert ? Va-t-il crĂ©er des emplois, nous sortir de la crise ou conjurer les pĂ©rils qui nous guettent ? Va-t-il rassurer les Tunisiens sur les prioritĂ©s de leur prĂ©sident ou bien remuer la poussière de passĂ©ismes qui n’ont pas fini de nous donner du fil Ă retordre ?
Est-ce plutôt de la poudre aux yeux, un nouveau paravent, un énième écran de fumée pour détourner nos regards des promesses non tenues par Si Béji ?
BCE et Ghannouchi main dans la main ?
Le pire serait que le 20 mars prochain, BCE aille inaugurer le nouvel emplacement de la statue avec son alter égo Rached Ghannouchi, dans un de ces gestes téléphonés qui, à défaut de consensus véritable, ont des relents de poudre de perlimpinpin.
Qu’on laisse donc tranquille cette statue de Bourguiba ! Qu’on ravive ses couleurs mais qu’elle demeure lĂ oĂą elle se trouve bien !
A quoi bon, comme l’Ă©crivait Tahar Haddad il y a 73 ans, « idolâtrer le passĂ© comme on vĂ©nĂ©rerait des idoles ». Visionnaire, Haddad ajoutait: « Pourquoi cette vĂ©nĂ©ration du passĂ© ? Parce que nous n’avons rien compris Ă l’enchainement des Ă©vĂ©nements historiques.
Et c’est cette incomprĂ©hension qui aggrave l’emprise du passĂ© et en accentue la tyrannie sur notre prĂ©sent ». Et d’ailleurs, pourquoi pas une statue de Haddad…
Se draper dans l’islam ou feindre le bourguibisme ?
Autrement dit, le jour oĂą les faussaires d’Ennahdha cesseront de se draper dans un islam qu’ils dĂ©tournent Ă leur profit et le jour oĂą leurs opposants cesseront de tout aussi faussement se parer d’un bourguibisme de façade, ce jour lĂ , la Tunisie retrouvera le bon chemin et sortira de l’ornière de la duplicitĂ© d’Etat.
Que notre président se souvienne que les malheurs de la Tunisie indépendante ont commencé avec le pouvoir personnel de Bourguiba et les errements de son entourage.
Que BCE se souvienne de la mise sous tutelle de la sociĂ©tĂ© civile par l’Etat et de la libĂ©ralisation Ă©conomique ambiguĂ« qui ont caractĂ©risĂ© les annĂ©es Bourguiba.
18 mars 1975 : Bourguiba acclamé président à vie
Tout visionnaire qu’il soit et avec tous les respects que nous lui devons, Bourguiba est aussi celui qui a semĂ© les germes de la catastrophe en faisant modifier la constitution et se faisant acclamer prĂ©sident Ă vie un certain 18 mars 1975.
Cessons d’invoquer l’histoire et construisons un prĂ©sent digne
Qu’on laisse cette statue tranquille! Et qu’on regarde enfin vers l’horizon !
Faire revenir Bourguiba au centre-ville reflète l’illusion d’une classe politique qui, pour ne pas regarder la rĂ©alitĂ©, se rĂ©fugie dans l’histoire et les symboles.
J’ai votĂ© pour vous, monsieur le prĂ©sident ! Pour que vous changiez la vie des Tunisiens comme vous l’aviez promis et non pas pour que vous perdiez votre temps Ă dĂ©mĂ©nager des statues. Qu’ĂŞtes vous en train de faire de nos voix ?
La révolution dilatoire
Et si, cette malheureuse idĂ©e de transfert de la statue Ă©questre est venue Ă vos conseillers pour damer le pion Ă Ennahdha, sachez que dans ce cas encore, il s’agit d’une mauvaise perspective.
Car pour le patriote que, comme vous, je suis aussi, l’image d’un Ghannouchi se repentant devant Bourguiba serait tellement surrĂ©aliste qu’elle ouvrirait une nouvelle page de cette rĂ©volution dilatoire que nous subissons Ă cause de politiciens bien dĂ©cidĂ©s Ă s’entendre sur notre dos et celui de la Tunisie.
Bricolages et vieux démons
Qu’on laisse cette statue tranquille ! Et, surtout qu’on ne joue pas avec le feu en faisant passer ce transfert comme une revanche symbolique contre l’islam dit politique. Bien au contraire, il s’agit d’un miroir aux alouettes qui, tout en ne servant Ă rien, ne manquera pas de rĂ©veiller nos vieux dĂ©mons.
J’ose le dire: le transfert de cette statue qui n’a rien demandĂ© est une erreur politique doublĂ©e d’une faute morale. Qu’on cesse ces bricolages improductifs et qu’on se dĂ©cide enfin Ă construire un avenir meilleur pour le peuple tunisien.
Est-ce ce que Bourguiba attendrait de nous ?
Non, monsieur le prĂ©sident, ce n’est pas de la sorte qu’une Tunisie rĂ©conciliĂ©e et laborieuse devrait cĂ©lĂ©brer les soixante ans de son indĂ©pendance. N’oublions pas Bourguiba mais regardons plutĂ´t vers l’horizon qui s’assombrit pour dĂ©jouer les pĂ©rils et consolider notre indĂ©pendance menacĂ©e.
Retour subreptice au culte de la personnalité
Qu’on laisse cette statue tranquille ! Ce transfert que vous dĂ©sirez pour elle n’est pas ce que Bourguiba attendrait de nous dans le contexte actuel.
A moins que vous ne veuillez ressusciter l’homme qui n’hĂ©sitait pas Ă se faire statufier, celui qui nous qualifiait de poussière d’individus et se comparait Ă un Jugurtha triomphant, celui qui aimait se faire porter en triomphe, celui qui cultiva le pouvoir personnel au point de se transformer en ubuesque et sĂ©nile monarque rĂ©publicain.
Est-ce ce Bourguiba que vous voudriez installer au cĹ“ur de la ville, entre l’imperturbable Ibn Khaldoun et l’Ă©coulement du temps de l’horloge ?
TrĂŞve de statues, attaquons-nous plutĂ´t aux urgences…
A tout prendre, je prĂ©fère celui plein de sève qui renait aujourd’hui mĂŞme, comme Ă Ksar Hellal en 1934, pour rectifier les Ă©garements des nouveaux archĂ©os.
Et si c’Ă©tait Ă prendre ou Ă laisser, je dirais ma claire prĂ©fĂ©rence pour l’avenir. MomifiĂ©, statufiĂ©, adulĂ© ou honni, Bourguiba fait partie du passĂ©. Tout comme l’emplacement de sa statue est un dĂ©bat d’une autre Ă©poque.
Dès lors, laissons cette statue tranquille et attaquons-nous plutĂ´t aux urgences du prĂ©sent et aux prioritĂ©s de l’avenir !
H.B.
