Nathalie est française, épouse d’un Tunisien de la classe moyenne et mère de trois enfants. Elle vit en Tunisie depuis les années soixante et ne cache plus son exaspération: « Dans les rues de Tunis, je ne me suis jamais senti aussi inconfortable.
Je suis scrutée du regard, partout et à tout moment. Les rues sont occupées par des bandes un peu partout qui, selon la rumeur, viendraient de Jelma. Avec ces jeunes qui trainent et la mode du hijab, Tunis est une ville méconnaissable. En tous cas, je ne m’y retrouve plus ».
Villes méconnaissables
Edelgard est Allemande. Elle vit en Tunisie depuis huit ans et exprime aussi son inconfort: « Hormis dans quelques quartiers, une femme d’aspect européen ne peut plus circuler tranquillement. Même si vous êtes en voiture, des voyous qui se croient tout permis vous harcèlent et vous draguent avec la brutalité des rustres.
Franchement, je n’en peux plus de vivre retranchée. Ce n’est ni l’état d’urgence ni la révolution mais ce sont les Tunisiens qui semblent avoir changé, être devenus plus agressifs, moins respectueux. Quel fiasco ! »
Qu’elles soient belges, polonaises, russes ou scandinaves, les épouses étrangères de Tunisiens expriment presque toutes le même ras-le-bol. Certaines vont plus loin et avouent ressentir du racisme. La plupart confessent être sur le point de jeter l’éponge.
Couples dans la débâcle
De fait, depuis cinq ans, un nombre relativement élevé de familles mixtes ont plié bagages, lorsque les couples, surtout parmi les plus jeunes, ne se sont pas purement et simplement défaits. Pour certains, la Tunisie est perçue comme dangereuse et ils préfèrent, forts de leur double nationalité, aller ailleurs où les chances sont réelles et les économies plus dynamiques.
Toutefois, pour certains, c’est cette atmosphère d’impunité et de provisoire qui dure qui sont à l’origine de leur décision de partir.
Cette valse-hésitation a en réalité commencé immédiatement après janvier 2011, lorsque face à l’incertitude, des familles sont parties chercher un abri ailleurs ou bien se sont séparées pour que l’épouse étrangère puisse retrouver des repères et conjurer la peur et l’insécurité.
Malaise, vacillement et paradoxes
Sans systématiser et simplement en observant mon entourage, ce mouvement est en train de s’accélérer sur fond d’inquiétude quant à l’avenir du pays ou de vécu devenu insupportable. Il est d’ailleurs patent que plusieurs familles, les plus aisées, gardent leurs valises prêtes pour partir à tout moment…
Que dire devant cet état de fait qui devrait interpeller sociologies et psychologies ? Comment recueillir et exprimer le malaise de ces Tunisiennes de cœur qui ne reconnaissent plus le pays qui leur a ouvert les bras ? Quel est le sentiment des époux dans ce vacillement des familles ?
Les questions sont nombreuses et les réponses continuent à être différées. Car, ultime paradoxe, cette situation est ressentie comme honteuse par celles qui en sont pourtant les victimes.
Qui entendra ces femmes ? Et, tout aussi urgent, qui rétablira le sens des valeurs et la convivialité perdue des Tunisiens, décidément méconnaissables, dans leurs villes assiégées par la peur et leurs rêves anéantis par la crise.
En attendant, les forces vives du pays, sa jeunesse, ses élites aussi, semblent de plus en plus tentées par un départ ressenti comme salvateur…
H.B.