Vivre à Tunis n’est désormais plus une sinécure. On en voit de toutes les couleurs dans les rues d’une ville en pleine panique, une ville dans laquelle plusieurs siècles d’urbanité semblent sur le point de s’effacer…
Rien ne sert de s’indigner, il est déjà trop tard…
En ce qui me concerne, je n’en veux au fond ni aux vendeurs à la sauvette, ni aux prostituées, ni même aux édiles qui laissent passer la vague, en attendant de reprendre la main.
Certaines choses peuvent bien sûr me laisser perplexe mais ce ne sont que des indignations personnelles qui me renvoient à mon propre vécu, ma mémoire du Tunis cosmopolite que j’ai connu dans sa splendeur finissante des années 80.
Mieux vaut se taire, c’est l’époque qui est ainsi…
Pourquoi pousser une gueulante parce qu’on vend des figues de Barbarie sur l’avenue Bourguiba ? Après tout, c’est aussi bien dans l’ordre des choses que dans l’air du temps…
Pourquoi hurler au scandale lorsqu’on voit des prostituées occuper tous les espaces de convivialité du centre-ville, au point d’en avoir inventé l’innovant cinéma de passe qui tient lieu d’hôtel aux couples de la vénalité ? Rien de plus normal…
Pourquoi rire sous cape du pompeux « rue témoin » dont est affublée la rue de Marseille pensée en des temps à peine révolus comme une artère piétonne modèle ? Ce serait jeter la pierre aux pauvres éboueurs qui sont les seuls à garder leur dignité dans cet enfer urbain…
Le Tunis d’aujourd’hui est devenu un paradis pour les voleurs et les petits délinquants qui opèrent au grand jour et écument gares et stations, sous l’œil impuissant de la police.
Ne me parlez plus de prestige de l’Etat !
Paradoxalement, le Tunis d’aujourd’hui, sillonné par les voitures, ressemble à un enfer pour les automobilistes. Embouteillages, sabots, enlèvement des véhicules contribuent à traumatiser les automobilistes qui, d’ailleurs, ne sont jamais à l’abri des voleurs.
En marchant dans ce Tunis que je ne reconnais plus, les discours pieux sur la restauration du prestige de l’Etat s’imposent à moi. Comment parler de prestige de l’Etat si les règles les plus élémentaires du civisme et du vivre-ensemble sont mille fois foulées au pied à chaque seconde qui passe ?
Une ville dans la déroute urbaine
On dirait que c’est trop tard pour Tunis qui, peu à peu, perd son vernis de ville méditerranéenne et s’enfonce dans la crise voire la déroute urbaine.
Car le Tunis d’aujourd’hui a tous les inconvénients et aucun des avantages d’une ville. Comme si Tunis n’était plus qu’un souvenir, comme si Tunis était devenu une cité populaire qui n’aurait presque rien d’un dortoir mais serait uniquement habitée le jour par toutes les dérives dont nous sommes capables…
Mais qu’on se rassure, nous pourrons toujours déguster des figues de Barbarie sous les ficus, en parlant de modernité, de révolution et surtout, de dignité retrouvée…
H.B.