Tunis Hebdo | L’entrée en scène de la Russie dans le conflit syrien donne une nouvelle dimension à la guerre qui ravage ce pays depuis cinq ans.
Pour la première fois depuis l’effondrement de l’Union soviétique, au lendemain de la chute du Mur de Berlin en 1989, le pays de Lénine et de Pierre-Le Grand fait acte de présence et frappe avec force pour défendre son pré carré, considéré à juste titre comme son ultime profondeur stratégique en Méditerranée orientale.
L’héritière de l’URSS a, en effet, perdu la plupart des territoires alliés qui composaient son vaste empire et qui sont allés grossir les rangs des cartels adverses, Otan et Union Européenne en particulier.
Cette «brusque» résurgence de l’«ours polaire» semble avoir pris entièrement de court l’Occident et ses riches supplétifs arabes.
L’événement était pourtant perceptible de longue date. Echaudée par le stratagème occidental qui a détruit la Libye, la Russie de Poutine, épaulée par la Chine, a tenu tête aux puissances occidentales, à l’ONU, les empêchant de faire admettre par le Conseil de sécurité une résolution similaire autorisant «la communauté internationale» de procéder à une intervention militaire pour renverser le président d’un Etat souverain membre des Nations-Unies : le président Bachar al-Assad, démocratiquement élu par son peuple, quoi qu’on dise.
Au projet occidental, Moscou et Pékin ont opposé leur veto. Ils le feront quatre fois durant quatre ans. Du jamais vu, même du temps de la guerre froide où la Chine et l’URSS se comportaient comme des ennemis. Ces vetos ont annoncé, de fait, la fin d’une époque caractérisée par l’hégémonie massive des Etats-Unis sur la scène internationale.
La Russie et la Chine ont, certes, soutenu l’Etat syrien, mais tout en l’appelant à dialoguer et à réformer pour imposer une nouvelle règle de conduite dans les relations internationales et transformer le Conseil de Sécurité de l’ONU d’une simple chambre d’enregistrement des volontés américaines en une vraie instance représentative, respectueuse du droit international et de la souveraineté des pays membres des Nations Unies. Ils l’ont fait aussi pour se protéger du fléau du terrorisme qui les menace, eux aussi.
Comme on s’y attendait, l’intervention militaire russe en Syrie, à la demande officielle du président Bachar, a déclenché une tempête de protestations et de critiques virulentes de la part des puissances occidentales qui voient dans cette intervention «une catastrophe assurée».
Washington, Londres et Paris ne trouvent pas de mots assez durs pour mettre en garde Moscou contre une «aventure périlleuse» de nature à «compliquer» et à «aggraver» une situation qui pousse à la «radicalisation».
Les trois Etats sont d’autant plus «décontenancés» que la Russie, qui a déployé plus de 50 bombardiers et autant d’hélicoptères militaires, compte poursuivre des raids intensifs sur les positions terroristes durant au moins «trois à quatre mois», afin de terminer entièrement le boulot.
Le point qui cristallise la discorde entre les deux parties tourne autour des cibles à bombarder. Alors que pour les Etats occidentaux, seule «DAECH» doit faire l’objet d’attaques massives, la Russie semble poursuivre un agenda sensiblement différent : attaquer «DAECH» et tous les terroristes en puissance dont, éventuellement, l’opposition armée, fabriquée par l’Occident, qui cherche depuis cinq ans à détruire le régime et à renverser le président syrien.
Le choix fait par Moscou s’explique par l’inconsistance d’une opposition divisée, dominée par les Frères musulmans, aux ordres de ses financiers, et, surtout, coupée des réalités du pays qu’elle prétend gouverner. Le distinguo fumeux que les Occidentaux s’emploient à faire accréditer entre une opposition «démocratique et modérée» et une opposition dominée par les groupes terroristes ne tient plus la route.
Tout le monde le pense, le voit, le constate avec la montée en puissance de l’Etat islamique en Irak et en Syrie (DAECH) et le Front «Al-Nosra», la filiale syrienne d’Al-Qaïda. Ce front «fait du bon boulot en Syrie», avait déclaré le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, en 2012.
Sans l’avouer ouvertement, les pays occidentaux, en panne de stratégie, commencent, aujourd’hui, à prendre conscience de leur échec en Syrie. Le feu syrien touche désormais la région du Grand Moyen-Orient, le Maghreb, l’Afrique et risque d’atteindre le Continent européen, par ailleurs déjà touché par les attentats terroristes.
Le brasier yéménite à la frontière avec l’Arabie saoudite et au cœur de la région ô combien stratégique pour les intérêts occidentaux est là pour prouver que la démarche occidentale fut une erreur lourde de conséquences. Et, cependant, au lieu de se ressaisir, l’Occident se dit déterminé à atteindre le but fixé. Comme Œdipe, il est décidé d’«y aller»…
Tahar SELMI