Tribune | CRISIS GROUP
L’International Crisis Group est une organisation non gouvernementale multinationale, à but non lucratif, dont la mission est de prévenir et résoudre les conflits meurtriers grâce à une analyse de la situation sur le terrain et des recommandations indépendantes.
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Depuis le soulèvement populaire de décembre-janvier 2010-2011, la Tunisie surmonte avec succès ses crises politiques, mais le pays semble moins disposé à absorber le choc d’attaques jihadistes plus importantes. Malgré le dialogue national qui a fortement réduit les tensions et a fait débuter l’année 2014 sur une touche optimiste, l’inquiétude grandit de nouveau. Cette appréhension peut s’expliquer par la montée des violences à la frontière algérienne, le chaos libyen et l’avancée de l’islamisme radical au Moyen-Orient, mais également par le discours antiterroriste ambiant. Caisse de résonnance des conflits qui agitent la région, le pays a besoin d’aborder la question terroriste de manière sereine et dépolitisée, malgré les enjeux internationaux. La lutte contre le terrorisme et la lutte contre le crime organisé sont indissociables. Le gouvernement gagnerait ainsi à accompagner ses mesures sécuritaires par des mesures économiques et sociales destinées à ramener les populations frontalières dans le giron de l’Etat.
Depuis 2013, l’alliance entre trafiquants d’armes et de drogues et cellules jihadistes armées parait se renforcer sensiblement dans les régions limitrophes. Les grands réseaux du trafic illicite nourrissent les violences aux frontières, hâtivement qualifiées de « terroristes » par la plupart des médias. Celles-ci pourraient s’accroitre dangereusement si l’aggravation du conflit libyen entrainait de sérieuses retombées économiques et politiques.
La crise sociale dans le Sud du pays, l’alliance solide entre cartels et jihadistes, la polarisation idéologique entre islamistes et sécularistes renforcée par les tensions régionales pourraient, à l’approche des scrutins et dans leur sillage, former un mélange explosif. Nombre d’électeurs et de candidats aux prochaines élections législatives et présidentielle, prévues à l’étranger et sur le territoire national les 24-26 octobre (législatives), 21-23 novembre (premier tour de la présidentielle) et 26-28 décembre (second tour) 2014, partagent la crainte de l’échec du processus électoral, un sentiment d’insécurité et la peur de subir le même sort que d’autres pays de la région. Le durcissement de la sécurité et les représailles de groupes jihadistes affaiblis forment un cercle vicieux. Le gouvernement indépendant dit de « technocrates » de Mehdi Jomaa joue sur la fibre antiterroriste. Il oriente les préoccupations des classes moyennes éduquées vers l’extrémisme religieux, ce qui risquerait de ressusciter la polarisation idéologique entre islamistes et sécularistes, si un attentat touchait le pays en plein cœur.
Afin de se prémunir d’une nouvelle crise, les autorités gagneraient à prendre deux mesures principales. La première serait de renforcer leur présence dans les zones limitrophes grâce à une politique de développement dont les signes pourraient rapidement être perçus par les habitants des frontières. La deuxième serait d’appliquer une stratégie antiterroriste efficace et mesurée, à l’opposé du traitement médiatique récent qui développe la phobie jihadiste en entretenant indirectement l’amalgame entre les différentes formes d’islamisme.
Les enjeux idéologiques régionaux et internationaux sur la question islamiste certes concernent la Tunisie, mais ceux-ci ne devraient pas déterminer son avenir. Après un premier rapport sur « la Tunisie des frontières » (novembre 2013), ce briefing analyse la nouvelle réalité des menaces aux frontières tuniso-libyenne et tuniso-algérienne, et propose des pistes pour atténuer les risques.
Dans l’immédiat, il est important que les principales forces politiques, syndicales et associatives, islamistes et non-islamistes, mettent en œuvre une approche consensuelle de la sécurité publique et que les autorités adoptent un discours antiterroriste serein, prévenant le retour d’une polarisation idéologique entre islamistes et sécularistes. De même, il serait souhaitable que le gouvernement ou celui qui lui succédera, intensifie la coopération sécuritaire avec le voisin algérien, concrétise le projet de création d’une agence nationale de renseignement, et dialogue avec les cartels situés aux frontières afin que ceux-ci acceptent de cesser le négoce de produits dangereux et possiblement que certains collaborent à l’avenir sur le plan sécuritaire avec l’Etat tunisien. L’ensemble de ces mesures contribuerait, au bout du compte, à éviter que les habitants des frontières ne s’éloignent de façon irrémédiable de l’Etat et soient tentés, à moyen terme, de s’y opposer de façon frontale en rejoignant des groupes armés jihadistes criminels.
Pour lire le rapport complet de Crisis Group, cliquez ici
Tunis/Bruxelles, 21 octobre 2014