Alors qu’aujourd’hui la France ferme outrageusement la porte aux migrants désœuvrés de l’Afrique et du Maghreb, il est bon de rappeler comment, sous la présidence de Raymond Poincaré, la France s’était tournée vers son empire colonial pour recruter à tour de bras des soldats nord africains et renforcer ainsi ses troupes engagées dans la 1ère Guerre mondiale.
Il y a presque cent ans, la Première Guerre mondiale prend fin après quatre années d’horribles batailles sanctionnées par des pertes humaines considérables. En juillet 1914, la France s’y engagea, la fleur au fusil, pensant que les hostilités allaient durer le temps que durent les roses sur les champs de bataille.
Son enlisement dans le conflit sanctionné très vite par un nombre élevé de morts la pousse à renforcer ses troupes. C’est vers ses nombreuses colonies africaines qu’elle se tourna alors pour recruter des soldats inexpérimentés qui, de surcroît, n’avaient rien à voir avec cette guerre. Et qui lui serviront de chair à canon.
Lourd tribut payé à la guerre
Ainsi, plus de 600.000 soldats coloniaux seront mobilisés dont la moitié est originaire du Maghreb. Selon des estimations dignes de foi, l’Algérie aura fourni un bataillon de 173.000 hommes, la Tunisie de presque 60.000 et le Maroc de 25.000. Envoyés sur le front dans la bataille de la Marne, célèbre par son atrocité, les régiments nord-africains, peu habitués aux conditions septentrionales, souffrent le martyre et enregistrent de lourdes pertes.
Et pourtant, malgré leur manque d’expérience et le peu d’instructions reçues, ces soldats maghrébins vont faire preuve d’un sens extraordinaire du combat, animés qu’ils furent par un courage et un héroïsme remarquables. Epaté par leur bravoure, le Ministre de la Guerre, Alexandre Millerand, dira : « Disciplinés au feu comme à la manœuvre, ardents dans l’attaque, tenaces dans la défense de leurs positions jusqu’au sacrifice, supportant au-delà de toute prévision les rigueurs du climat du nord, ils donnent la preuve indiscutable de leur valeur guerrière. »
Durant ce conflit qui sera appelé « la der des der » (expression pour dire l’espoir que le conflit 14-18 sera la dernière guerre), notons que la France a perdu un nombre considérable de soldats. Lorsque en 1918 les canons se sont tus, elle sort meurtrie par 1.400.000 morts.
Mais les troupes nord africaines n’étaient pas en reste ; elles auront payé un lourd tribut à cette terrible guerre. Exemple : sur les 60.000 soldats tunisiens enrôlés et engagés sur les différents fronts, (et particulièrement leur participation à la bataille de Verdun et du Chemin des Dames) 16.000 voire plus périront pour une population qui comptait approximativement 1.800.000 habitants, à l’époque.
Reconnaissance tardive
Pendant longtemps, l’apport de la soldatesque nord-africaine a été méconnu et oubliée dans la mémoire collective française. Depuis quelques années, on a fini par reconnaître l’importante contribution de ces régiments et par leur rendre hommage, à la faveur du centenaire du déclenchement de la Grande Guerre, ponctué de colloques et de conférences. C’est ainsi qu’à l’occasion de cette commémoration, l’ex-Président de la République, François Hollande, a tenu à saluer les bataillons venus de toute l’Afrique « qui avaient pris part à une guerre qui aurait pu ne pas être la leur. »
Mais pour être complet, l’apport et la participation des Maghrébins à ce conflit ne furent pas que militaires. Ils seront présents dans les usines pour constituer une main d’œuvre importante, quantitativement et qualitativement. C’est donc du premier conflit mondial que date le premier mouvement migratoire maghrébin avant qu’il ne prenne plus d’ampleur aux alentours des années soixante. Entre 1914 et 1918, quelque 180 000 immigrés débarquent en Métropole. A Paris, ils seront hébergés dans les quartiers de la Goutte-d ‘Or et du Beaugrenelle.
Il est enfin à préciser que la France, soucieuse d’encourager les troupes musulmanes à pratiquer leur culte, installe dès 1916 en banlieue parisienne une petite mosquée dans le jardin colonial de Nogent-sur-Marne. Peu d’années après la signature de l’Armistice, les premiers coups de pioche pour la construction de la Mosquée de Paris sont donnés, en guise d’hommage aux soldats maghrébins tombés sur les champs de bataille pour la France.
Erigée au cœur du 5ème arrondissement de Paris, la mosquée fut édifiée en 1926 avec ce beau message placardé sur son frontispice : « Les musulmans sentiront que la France et Paris les accueillent non comme des étrangers, mais comme des frères. » On ne dira jamais assez combien il est utile de rappeler aux dirigeants actuels ces paroles fraternelles conformes à la devise républicaine de la France. Et rafraîchir ainsi leur mémoire…
Abbès BEN MAHJOUBA
Tunis-Hebdo du 27-08-2018