Un rapport accablant publié par l’Instance nationale de lutte contre la corruption (INLUCC) indique que, pour l’année 2016, la corruption a coûté à l’Etat 2 milliards de dinars. Sans compter que depuis 2011, ce phénomène fait perdre, annuellement, près de 160.000 emplois. Bien que la majorité des Tunisiens se plaignent du manque de transparence et d’intégrité, beaucoup cèdent à la tentation de soudoyer les forces de l’ordre pour ne pas payer une grosse contravention.
La semaine dernière, une dame au volant de son véhicule se fait arrêter par un agent de police au niveau de l’avenue du Ghana à Tunis. Après avoir présenté son permis et sa carte grise au gendarme, ce dernier l’informe qu’elle est passée au rouge et qu’elle a le choix entre payer une contravention de 160 dinars ou une amende de 20 dinars.
Pressée et dépitée, la conductrice commence à tourner autour du pot avec l’agent qui fait mine de garder son sérieux. Au bout de cinq minutes d’échanges de bons procédés, la conductrice confie au représentant de la loi qu’elle préfère lui donner les 20 dinars à lui plutôt que de les payer à la recette des finances. Aussitôt dit, aussitôt fait !
Un tel comportement, bien qu’il soit juridiquement et moralement condamnable, est entré dans les mœurs de la vie quotidienne des Tunisiens. Lorsqu’on les interpelle sur la gravité de leurs actes, nombreux sont d’accord qu’il s’agit là d’un acte malsain mais le minimisent en affirmant que ceux qui prétendent lutter contre la corruption, à savoir l’Etat et les auxiliaires de justice sont les plus corrompus. À croire que ce pays est divisé en deux catégories, les hauts commis de l’Etat et le peuple.
Il n’est pas rare d’entendre dire que si l’on n’offre pas quelques pots-de-vin, on n’arrive pas à obtenir ce qui nous revient de droit. La faute incombe à un modèle administratif défectueux qui a pris l’habitude de faire traîner les dossiers des citoyens par paresse ou par cupidité.
« Les Tunisiens usent des pots-de vins pour contourner un modèle administratif défectueux »
Un homme, vivant à Hammam-Lif, s’est récemment rendu à la Conservation de la propriété foncière à Ben Arous pour avoir des nouvelles d’un dossier qu’il avait déposé des mois auparavant. En apprenant, par l’un des employés avec qui il sympathisa, que son dossier n’avait toujours pas été traité pour des raisons futiles, il glissa au dit employé un billet de 50 dinars en poche afin qu’il accélère le processus.
Sans cela, l’homme aurait été obligé de ramener un récent certificat de naissance puisque celui qui était joint au dossier n’était plus valable. Trois jours plus tard, l’homme reçut un agréable coup de fil de la part de la Conservation lui indiquant que son dossier était enfin prêt.
La corruption à l’échelle individuelle peut paraître dérisoire, mais si elle est multipliée jusqu’à s’étendre à des millions de cas, on arrive à un déficit annuel de 500 millions de dinars pour lesquelles le citoyen tunisien devra, tôt ou tard, payer les pots cassés.
Mais là, où véritablement le bât blesse, c’est au niveau du laxisme de nos institutions juridiques et législatives qui préfèrent fermer les yeux devant des graves délits parce qu’on leur a graissé la patte.
Malgré le regain d’optimisme qui s’est dégagé à travers tous le pays lorsque le Premier ministre Youssef Chahed a entamé, dès son arrivé à la tête du gouvernement, sa croisade contre ce fléau, on sent actuellement que le chef du gouvernement s’en est pris seul à un très gros poisson sans personne pour lui venir en aide.
Mohamed Habib LADJIMI
Tunis-Hebdo du 12/11/2018