Le laboratoire de recherche sur le droit de l’Entreprise de la faculté des sciences juridiques de Tunis et le Middle East Partnership Initiative (MEPI) ont organisé, le jeudi 5 avril à la Faculté, un séminaire sur le rapatriement des avoirs de l’étranger. Au programme, deux conférences présentées respectivement par Stuart Gilman, ancien diplomate aux Nations Unies et Mhamed Ben Sassi membre du laboratoire représentant l’environnement.
Dans son intervention, le diplomate américain a présenté les dispositions de la convention de New York de 2003 de lutte contre la corruption, la portée de la coopération internationale et l’intérêt de l’entraide judiciaire. Il a précisé que le rapatriement des avoirs détournés à l’étranger est un droit légitime et incontestable. Seulement, la réalisation de ce droit dépend du respect des procédures et des règles mentionnées dans la convention de New York. La maîtrise des dispositions de cette convention est donc nécessaire pour faciliter le rapatriement des avoirs détenus à l’étranger.
D’une façon générale, S. Gilman trouve que la prévention est le meilleur moyen de se prémunir contre le risque de la corruption et de l’évasion des capitaux vers l’étranger.
Pour sa part, M.Ben Sassi, qui a présenté des chiffres et des détails ahurissants sur l’ampleur des détournements des avoirs mal acquis, estime que la législation internationale édictée en la matière ne favorise pas le rapatriement. Elle est d’une applicabilité très limitée à cause des conditions exorbitantes imposées aux Etats qui demandent le rapatriement.
Parmi ces conditions, les conventions Onusiennes (convention de New York et convention de Palerme) et les recommandations émises par les Experts à l’échelle mondiale ( recommandations du GAFI), prévoient la subordination du rapatriement à une demande motivée émanant de l’État concerné , suivie d’une procédure de déclaration et de confiscation pour donner lieu, le cas échéant , à la restitution en sa faveur des avoirs confisqués. L’État qui en fait la demande doit, en principe, prouver l’illicéité des avoirs à travers la production d’une condamnation pénale définitive. Et ce n’est qu’après satisfaction à cette condition préalable que l’État, auquel la demande est faite, peut envisager de restituer l’argent confisqué s’il en reste !!!!
À côté de ces lenteurs et de ces complexités, le conférencier déplore l’insuffisance de la coopération internationale et la mauvaise foi de certains organismes financiers qui refusent de déclarer la situation des avoirs qu’ils détiennent au nom des personnes suspectes. Il a cité l’exemple de la célèbre banque suisse le HSBC suspectée d’abriter une partie du produit de la cession de deux hôtels relevant du groupe Carthago, dirigé par Belhassen Trabelsi ( 44,1 millions de dinars). Ce montant n’a pas été déclaré par la banque dans le cadre de la demande d’entraide émanant des autorités tunisiennes. Ce sont des citoyens tunisiens résidents en Suisse et regroupés dans une association qui ont dénoncé les faits.
En conclusion de son exposé, le conférencier a fait état des mesures et des actions entreprises, marquées par des déclarations de bonnes intentions, des requêtes judiciaires et des va-et-vient onéreux entre experts et politiques. La seule récupération qui, à ce jour, présente une plausibilité certaine, porte sur un montant de 28 millions de dollars déposé dans une banque libanaise au nom de Leila Trabelsi.
Au cours des débats, les professeurs et étudiants qui étaient présents se sont interrogés sur l’intérêt de cette législation qui n’a été d’aucun secours pour rendre justice à la Tunisie et faciliter la récupération des avoirs qui se chiffrent à des milliers de millions de dinars. Certains, préconisent l’implication de la société civile qui doit agir de concert avec des associations à l’étranger, œuvrant dans le domaine de la transparence pour faire pression sur les gouvernements et les amener à une coopération effective. Pour d’autres, la Tunisie est en droit de s’abstenir de rembourser ses dettes en compensation des avoirs non rapatriés. La plupart des participants considèrent qu’il ne sert à rien de limiter les démarches aux procédures et à la diplomatie, lesquelles ont démontré leur limite, et que le mieux est de changer de tactique et de stratégie.
À noter, par ailleurs, que le MEPI qui a organisé le 4 avril à la maison de l’avocat une manifestation similaire, est en tournée en Tunisie sur invitation de plusieurs universités et organisations professionnelles.