Que penser de « l’interview-monologue » du premier ministre Hamadi Jebali ?
Honnêtement, l’exercice télévisé d’hier soir a été surtout l’occasion pour les citoyens de constater la formidable progression du premier de nos ministres dans l’art de la communication ; usage fort limité du sourire « extra large » , recours limité à la langue de Molière, des phrases plus ramassées mélangeant dialecte et arabe littéraire, ton moins hésitant pour cause de passages entièrement appris par cœur et enfin pour l’apparence, rien de changé , toujours impeccable « le monsieur » Jebali , costume bleu sombre , cravate parfaitement ajustée côté longueur et soigneusement nouée , bref un « élégantissime » chef de gouvernement.
Voici pour la forme quid du fond ?
Globalement, la tonalité générale des réponses était consensuelle, même assez avenante pour l’opposition exception faite de Nidaa Tounes (chose tout à fait attendue) et fort révérencieuse à l’égard de la centrale syndicale.
Indubitablement, le premier ministre était venu en service commandé, consistant, à la fois, à donner des signes d’apaisement en direction de l’opposition parlementaire mais aussi de délivrer un message clair à cette dernière à savoir « que tout ira plus rapidement » s’il y’a accord sur le nature du régime politique et sur le mode de désignation du président de l’Instance qui sera chargée des élections. Sur ce point, le PM a réussi 5/5.
Pour le reste, certainement aidé en cela par des intervieweurs particulièrement timorés (et ce n’est qu’un euphémisme), le premier ministre s’est carrément baladé, déroulant à l’occasion un listing impressionnant des grandes réalisations de son gouvernement qui, sans elles, bien sûr le pays n’aurait pas pu être sauvé (un choix des termes assez malvenu et qui renvoie directement à l’ancienne thèse du sauveur de la nation, dont bien évidement chacun connait la suite). Bref un auto- satisfecit général, même si entrecoupé des fois, de tous petits aveux à propos de quelques petits ratés enregistrés ici et là … Mais bien sûr … sans effets notables sur les équilibres globaux du pays.
Ce passage d’autosatisfaction a laissé la majorité des spectateurs songeurs voir hébétés et nul doute que beaucoup parmi eux ont dû s’interroger … mais … Monsieur Jebali parle-t-il du même pays, lui arrive t-il encore de faire de temps en temps le tour des marchés ? A-t-il une idée sur le cours de l’immobilier ? Connait-il le coût du transport ? etc. Non, le plus sérieusement du monde, relativement au quotidien des tunisiens, le premier ministre est paru complètement à côté de « ses pompes » et, sans jouer les conseillers, tout porte à croire que quelques visites du terrain ne pourraient lui être que du meilleur effet.
Pour conclure , disons que l’interview-monologue a été en deçà des attentes de l’opinion publique En effet, beaucoup d’autres thèmes de première importance ont été occultés ou tout bonnement mis de côté . Certes, il fut question du secteur de l’information, des questions sécuritaires et du crucial département de la justice mais les réponses n’ont pas dépassé le cap des professions de foi et du rappel des principes généraux.
S’il m’était permis de noter le chef de gouvernement, je ne lui donnerais, tout en étant très large, qu’un petit dix, le Smig syndical en somme. Car au delà de la prestation très insuffisante sur le fond , un bon point pourrait être accordé au premier ministre pour s’être clairement détourné des postures pouvant « cliver » l’opinion publique. En effet, en rompant avec le style agressif, accusateur et vindicatif du chef d’Ennahdha et des seconds couteaux type Lotfi Zitoun, et en se plaçant au dessus de la mêlée partisane, il a pu laisser entrevoir la possibilité d’un nouveau dialogue national apaisé, loin des surenchères a visées électoralistes.
Dommage toutefois qu’il na pas pu s’empêcher d’afficher de l’ostracisme à l’égard de Nida Tounes , cette attitude ne faisant en rien avancer notre « schmilblik » démocratique.