Mohamed Ali Chihi, ambassadeur de Tunisie en France, ainsi que Nicolas Beau, journaliste et directeur de mondafrique.com, ont été les invités, la semaine dernière, à un jour d’écart, de l’émission de TV5Monde, «L’invité», présentée par Patrick Simonin. Les deux personnalités ont évoqué un manque de moyens flagrant…
C’est sur le thème de «Le défi tunisien» que Mohamed Ali Chihi a été l’invité de «L’invité», le lundi 29 juin. Bien que, quelque part, mal à l’aise, notre ambassadeur en France a, néanmoins, répondu avec calme et sans esquive à toutes les questions du présentateur Patrick Simonin de la chaîne francophone TV5Monde, et ce, un peu plus de 8 minutes.
Le lendemain, à savoir mardi 30 juin, c’était au tour de Nicolas Beau d’être à la même place pour des questions qui, néanmoins, bien que tournées autrement, se rapprochaient de celles posées à Chihi. Normal vu les préoccupations du moment et le thème à savoir «Les défis de la Tunisie après l’attentat de Sousse». Cependant, il était étonnant que Nicolas Beau, en journaliste maîtrisant son sujet, ait eu des problèmes pour s’exprimer.
Contre le terrorisme le risque zéro n’existe pas
Patrick Simonin a attaqué d’emblée, avec l’ambassadeur tunisien, avec une question demandant s’il y a eu défaillance des services de sécurité lors de l’attentat de Sousse du 26 juin.
Mohamed Ali Chihi a répondu : «Défaillance, non, mais le risque zéro dans ce genre d’attentat n’existe pas. Contre le terrorisme le risque zéro n’existe pas. Le même jour, en France, avec un plan vigipirate sophistiqué, il y a eu la même chose, au Koweït également. Avant aux Etats-Unis, à Charleston. Donc, le risque zéro avec ce genre d’acte est impossible à avoir».
De son côté, Nicolas Beau a affirmé qu’il y a eu défaillance et a expliqué pourquoi : «Le risque de dégradation de la situation sécuritaire est réel parce que la Tunisie n’est pas en état de marche pour lutter contre ce fléau [le terrorisme].
Tout le système sécuritaire de Ben Ali a explosé en 2011. Après, il y a ce gouvernement islamiste d’Ennahdha qui a essayé de restructurer un peu cette boîte noire, ce ministère de l’Intérieur, en embauchant massivement des jeunes non formés et, parallèlement, en éliminant les cadres de Ben Ali.
Le ministère de l’Intérieur est,
aujourd’hui, fragmenté
Donc, le ministère de l’Intérieur tunisien est, aujourd’hui, fragmenté, et en plus il y a les syndicats qui sont arrivés. Ils ne sont pas en ordre de marche pour lutter contre Daech». Et le directeur de mondafrique.com d’enfoncer encore plus le clou : «Ce ministère de l’Intérieur fracassé a du mal à se relever de ces quatre années de transition.
Il fonctionne très mal avec la garde nationale et l’armée, qui, elle, est à peu près à même de lutter contre le terrorisme. Ils ne sont que 30.000. C’est une petite armée. Et encore des efforts de formation sont nécessaires. Les Américains sont en train de former les forces spéciales tunisiennes. C’est tardif.
Et, enfin, un exemple sur le plan policier, le Premier ministre (sic), après l’attentat de Sousse, a dit ‘Mais, maintenant, nous allons fermer 80 mosquées salafistes durs et maintenant nous allons surveiller les choses étranges’. Mais pourquoi ils ne l’ont pas fait jusqu’à présent ? Ce qui prouve bien les défaillances du système policier tunisien !».
25 milliards et 150 millions d’euros
attendus et toujours pas venus
A propos de Ben Ali, Mohamed Ali Chihi a déclaré : «Le temps de Ben Ali est un temps qui est passé. Maintenant, on a besoin d’une démocratie forte. La démocratie a besoin d’être forte pour aller combattre le terrorisme. La guerre, c’est la guerre. Il y a d’autres règles pour la guerre. Cette démocratie, on va la défendre. On ne va pas se laisser faire, baisser les bras. La Tunisie ne va pas céder à la terreur».
Un peu plus tôt dans l’émission, il avait déclaré : «On va faire en sorte qu’il n’y aura plus d’attentats en Tunisie. Nous, on va assumer notre rôle. Mais on attend aussi que les autres assument leur rôle», car, pour lui, le terrorisme n’est pas uniquement un problème tunisien mais un problème international.
Alors qu’est-ce que notre ambassadeur appelle «assument leur rôle» ? Déjà il y a les promesses non tenues, aussi bien Mohamed Ali Chihi que Nicolas Beau l’ont signalé. Le premier a déclaré : «On attend toujours les promesses, les 25 milliards d’euros, depuis la dernière réunion du G7».
Les Emirats sont contre Ennahdha
Le journaliste français, lui, a souligné une défaillance du côté émirati : «Il y avait un plan de 150 millions d’euros pour sécuriser la frontière tuniso-libyenne, notamment en apportant beaucoup de matériel électronique. Les Emirats avaient promis d’aider le nouveau président, Béji, qu’ils ont soutenu dans son élection au mois de décembre 2014.
Et malheureusement, ils sont en désaccord avec la politique de Béji qui a continué à faire un gouvernement d’Union nationale en intégrant aussi les islamistes d’Ennahdha. Les Emirats sont contre. Ils sont sur la ligne du président Sissi.
Donc tout ce qui ressemble à un Frère musulman ou à un salafiste, ils n’en veulent pas. Ils sont revenus sur leur promesse. Ils ne financent pas cette frontière sécurisée. Pourquoi les Français ne le font pas ? On a 150 millions d’euros à dépenser pour aider la Tunisie».
Pour Chihi, même si on a des moyens, «on a besoin d’autres moyens. On a besoin d’une stratégie globale pour combattre le terrorisme».
70 millions d’endettement
transformés en projets ou presque
Selon Beau, «la France a, récemment, eu un geste» et de préciser que ce geste «on le doit à Hollande et à Valls» : «On a transformé 70 millions d’endettement de la Tunisie en projets pour les régions de l’Intérieur, ces régions qui sont déshéritées». Et le journaliste de, cependant, préciser : «J’ai rencontré un ministre à Tunis qui m’a dit que les projets n’ont pas encore été mis en œuvre.
C’est compliqué d’aller dans ces régions pour construire des projets». Cette promesse sera-t-elle tenue ou ne sera-t-elle que du vent comme quand Manuel Valls a dit «Nous allons aider la Tunisie dans son effort sécuritaire» ? La réponse est peut-être à trouver dans celle qu’a donnée Nicolas Beau à propos de cette déclaration du Premier ministre français : «C’est un vœu tout à fait louable. Mais concrètement très peu a été fait.
Une situation sécuritaire possiblement catastrophique
Des émissaires des forces politiques et sécuritaires tunisiennes sont venus voir Manuel Valls et le service de la DGSI (NDLR : Direction générale de la sécurité intérieure française) pour leur expliquer la situation dès 2013. Début 2014, ils livrent un rapport de 20 pages qui décrit une situation sécuritaire possiblement catastrophique.
Ils évoquent déjà la Libye, le réseau dormant des Djihadistes, le groupe salafiste Ansar al Chariaa. Cela n’a pas été pris en compte. La demande des Tunisiens était modeste. C’était les aider en matière de formation».
Le journaliste français est dubitatif quant à la création d’une police touristique armée et de répondre : «Encore faut-il la créer ! Ça prend du temps. Il va falloir à nouveau former ces policiers. Donc, il y a un énorme déficit !».
5000 à 6000 cellules dormantes ?
Le directeur de mondafrique.com semble avoir de bonnes entrées chez nous pour avoir des confidences de certains de nos ministres et cela ne date pas d’hier. Pour preuve, il a déclaré : «Daech, c’est quoi en Tunisie ? C’est, d’après les ministres eux-mêmes que j’ai rencontrés, il y a une semaine à Tunis, des cellules dormantes qu’ils évaluent à cinq ou six mille en Tunisie même.
C’est 1500 Tunisiens qui sont en Libye au-delà d’une frontière totalement perméable où les armes et où tout circule très librement. C’est 600 kilomètres de frontière. Et c’est, enfin, 3000 à 4000 Tunisiens qui sont en Irak et en Syrie.
Si on additionne tous ces Tunisiens et qu’on rapporte ça à une population de 12 millions d’habitants, c’est comme si nous, en France, on avait une force de 60 mille personnes. C’est considérable !».
Zouhour HARBAOUI