Quand est-ce que les flux d’investissements intérieurs et extérieurs reviendront à leur niveau d’avant la révolution ? Pourquoi les entrepreneurs locaux et étrangers ont-ils perdu confiance dans le modèle économique tunisien, autrefois cité en exemple par les institutions financières internationales quant à sa capacité de résilience et sa solvabilité ? Est-ce en raison de l’instabilité politique et la succession des gouvernements durant ces dix dernières années, ou pour des raisons d’ordre économique ? Notre politique fiscale constituerait-elle un frein à l’entreprenariat ? La bureaucratie et la lourdeur des procédures pénalisent-elles les projets d’investissement ? La corruption serait-elle derrière la fuite des investisseurs ? Certainement, il y a du vrai dans tout ça. Le plus important, toutefois, c’est de savoir comment rétablir cette confiance ?
Parce qu’il est un moteur de croissance à long terme, l’investissement se démarque des autres agrégats. Il est différent par l’aspect variable de ses déterminants, en l’occurrence : la demande anticipée des entreprises, le coût des facteurs de production, les contraintes de financement et la profitabilité des projets.
Tous ces facteurs conditionnent, à bien des égards, la décision d’investissement, sans omettre, bien évidemment, le climat des affaires. En Tunisie, il est admis que la situation sociale et le contexte politique depuis 2011 n’ont pas été favorables à toute prise de risque.
Les raisons d’une chute vertigineuse
Les chiffres relatifs à l’investissement font froid dans le dos et témoignent d’une décrépitude à la fois inquiétante et alarmante. Un seul chiffre suffit pour décrire cet état de fait : le taux d’investissement par rapport au PIB est passé de 24,6% en 2010 à 14% en 2021, régressant de presque 50% en valeur, en l’espace de dix ans !
Comment pouvait-il, en effet, en être autrement quand on sait que le taux d’épargne nationale, qui est mécaniquement lié au taux d’investissement, a chuté à 6,4% en 2021. En 2010, ce taux culminait à 21,1%. Pas besoin de vous faire un dessin pour schématiser la situation.
Ceci dit, pour saisir en profondeur les raisons de cet effondrement, une analyse des déterminants de l’investissement est nécessaire afin de savoir quels sont celui ou ceux qui l’ont conditionné et réduit ses flux à la portion congrue.
Il est presque admis que la demande anticipée des entreprises est le déterminant principal de l’investissement. Généralement, cette demande augmente si l’économie est en phase de croissance et baisse, au contraire, s’il y a une décélération de l’activité économique.
En cas de récession, c’est pire, la demande anticipée des entreprises se trouverait fortement impactée, parce que les investisseurs se comporteraient face à cette situation avec prudence.
Il faut dire que cette aversion au risque a été, depuis 2011, le dénominateur commun à tous les investisseurs privés. L’instabilité aussi bien sociale (mouvements de protestation, grèves, sit-in, précarité de l’emploi, coût de la vie, etc.,) que politique (succession des gouvernements) a rendu presque impossible toute visibilité quant à prendre des décisions d’investissement.
Il y a eu, de ce fait, peu d’achat d’équipements de la part des entreprises, même au niveau du personnel elles n’ont pas recruté. La devise était : attendons voir !
L’argent ne coule pas à flot !
L’autre déterminant qui a influé sur le flux des investissements durant cette décade est à chercher du côté du coût des facteurs de production, le travail et le capital principalement. Ça serait plus juste, en fait, de dire qu’ils sont devenus des freins à la production plutôt que d’en être les facteurs catalyseurs.
Il est bon de rappeler qu’en dix ans, les salaires ont augmenté de près de 75%, que ce soit dans le privé ou dans le public, sans que cela ne se traduise par une augmentation de la valeur ajoutée ou une amélioration de la compétitivité. Ceci a fortement pénalisé les équilibres financiers de la plupart des entreprises.
Même cas de figure pour le coût du capital : les prix exorbitants des équipements, des machines et d’autres matériaux n’encouragent pas les chefs d’entreprise à l’idée d’investir et d’augmenter leur capacité de production.
Et même si parfois des chefs d’entreprise se montrent audacieux, parce qu’ils ne craignent pas le risque, décident de lancer des projets, les contraintes de financement tempèrent leur ardeur. Les taux auxquels prêtent les banques (11%, 12%) rendent toute possibilité de crédit non envisageable pour eux, surtout dans un contexte où la visibilité est trop faible et dans une conjoncture où la profitabilité n’est pas certaine.
Que faire devant tant d’aléas ? Evidemment, il ne faut pas rester les bras croisés, il faut agir en conséquence, et commencer par rétablir la confiance, qui est, à notre sens, le principal déterminant de l’investissement.
Chahir CHAKROUN
Tunis-Hebdo du 06/09/2021