Quelles sont les entreprises publiques que l’Etat privatiserait dans le cadre de son plan de réforme ? Sur quelle base le gouvernement choisirait une entreprise et « épargnerait » l’autre ? Quels arguments le gouvernement présenterait-il à la Centrale syndicale pour appuyer sa démarche ? Focus sur un dossier qui risque de faire des remous.
Si la question des subventions est une réforme à laquelle l’UGTT semble adhérer à défaut qu’elle corrobore, la privatisation des entreprises publiques est, par contre, un dossier que le gouvernement se doit de prendre avec des pincettes en relation avec l’organisation travailliste.
La Centrale syndicale a, de tout temps, considéré la question de la privatisation des entreprises publiques comme étant une ligne rouge qu’il ne faudrait pas franchir. On devra s’attendre à ce que la tension monte à nouveau d’un cran entre les deux parties une fois ce dossier mis sur la table des négociations.
A chacun sa doctrine !
Les experts sont unanimes à dire que les entreprises étatiques constituent une plaie béante des finances publiques, de par leur mauvaise gouvernance et des dysfonctionnements qui entourent, depuis des décennies, leur management. Mais à chaque fois que la question de leur privatisation totale ou partielle est soulevée, ils restent à la fois partagés et sur leur garde quant à la démarche à suivre.
En réalité, au-delà de l’appréhension qu’il suscite, ce dossier a souvent été sujet à polémique, doctrinale à vrai dire, entre libéraux d’un côté et conservateurs de l’autre. Mongi Mokaddem, professeur de sciences économiques, ne s’en cache pas :
« Je ne pense pas que le gouvernement va aborder, tout de suite, la question de la privatisation des entreprises publiques, s’agissant d’un terrain glissant et d’un sujet qui fâche. D’ailleurs, le FMI n’en fait pas un préalable pour le décaissement du prêt. Pour l’institution de Bretton Woods, la Tunisie doit, pour l’heure, s’inscrire dans une obligation d’assainissement de ses finances publiques.
En outre, si l’UGTT semble digérer la levée progressive des subventions et insiste sur le fait que celles-ci doit bénéficier aux couches sociales démunies, la question de la privatisation demeure existentielle pour la Centrale syndicale, car ce procédé mettrait en cause le principe même sur lequel est fondée l’organisation. Mercantiliser un service éminemment public et l’offrir aux détenteurs des capitaux pour en faire un business juteux, c’est cela l’idée que se fait l’Union du travail de la privatisation. Pour les convaincre du contraire, ce n’est pas demain la veille ! »
Au cas par cas
Cela dit, la question de la privatisation ne peut pas être traitée dans son ensemble, insistent les experts, étant donné que chaque entreprise publique a ses propres spécificités. Que ce soit au niveau de la raison sociale, de l’effectif, de la qualité des fonds propres, et de l’état de ses dettes. Les traiter au cas par cas serait le meilleur moyen d’aplatir les difficultés et de faciliter les négociations à défaut de les accélérer.
Cependant, ces mêmes experts rechignent à citer nommément les entreprises éligibles à la privatisation, se contentant d’exclure celles stratégiques de l’Etat, comme la STEG, la Sonede, l’ONAS, la CPG, la TRANSTU, la SNCFT, la STIR ou encore l’ODC. Reste que ces dernières ne sont pas représentatives de l’ensemble du secteur qui compte pas moins de 102 entreprises publiques dont 46 sont des sociétés anonymes, 73 EPNA (Etablissements Publics à caractère Non Administratif) non considérés comme entreprises publiques, et 24 établissements publics de santé (EPS).
De plus, leurs tailles hétérogènes (une vingtaine d’entre elles représentent près de 80% du secteur aussi bien en termes de chiffre d’affaires que d’effectifs) rendraient aléatoire toute tentative de les mettre toutes dans le même sac.
A titre d’exemple, le niveau des dettes de la STEG et de Tunisair n’est pas le même que celui d’autres entreprises. En ordre de grandeur, sachez qu’en 2015, la dette extérieure des EP (entreprises publiques) garantie par l’Etat a atteint 10% du PIB, la STEG cumulant plus de 50% de cette dette. Sans oublier que, depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts et la situation d’endettement a davantage empiré.
Last but not least, la majorité des EP ne publient pas leurs états financiers annuels ou les états intermédiaires à part celles cotées en Bourse. Ce sans compter les disparités au niveau des systèmes d’information des entreprises, toutes ne sont pas logées à la même enseigne.
Moralité de l’histoire : quels que soient l’issue de l’opération de privatisation et le sort des deniers de l’Etat, « Rien n’est humiliant comme de voir les sots réussir dans les entreprises où l’on échoue », avait dit Gustave Flaubert.