Au lendemain de la cérémonie de clôture de la 36ᵉ édition des Journées cinématographiques de Carthage, à laquelle les jurys n’ont pas assisté, le réalisateur Ibrahim Letaief a rendu publique une lettre ouverte adressée au Président de la République. Dans ce texte, rédigé dans un ton respectueux et institutionnel, il revient sur les circonstances de cet incident et alerte sur ses implications symboliques et culturelles pour un festival historique, pilier du rayonnement culturel de la Tunisie.
Ci-dessous la lettre:
Lettre ouverte à Son Excellence le Président de la République
Objet : Préservation de l’image culturelle de la Tunisie et du cadre institutionnel des Journées Cinématographiques de Carthage – Édition 2025
Son Excellence
Président de la République tunisienne
Veuillez agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de ma haute considération.
Je me permets de m’adresser à Votre Excellence en ma qualité de réalisateur tunisien, membre de l’un des jurys des Journées Cinématographiques de Carthage 2025, et en tant que citoyen profondément attaché à la place qu’occupe la culture dans l’image et le rayonnement de la Tunisie, tant à l’échelle régionale qu’internationale.
Les Journées Cinématographiques de Carthage, fortes de plus de soixante années d’existence, ne constituent pas une simple manifestation artistique. Elles représentent l’un des piliers de la diplomatie culturelle tunisienne, un symbole historique du dialogue entre les cinématographies arabes, africaines et internationales, ainsi qu’un témoignage de la continuité de l’État dans son soutien à l’action culturelle.
Je tiens, en préambule, à saluer avec la plus grande considération le travail artistique accompli par le directeur du festival, ainsi que les efforts importants déployés par l’ensemble de l’équipe d’organisation. Cette édition s’est distinguée, dans son déroulement général, par une programmation exigeante, un accueil attentif des cinéastes et une relation soutenue avec le public, à la hauteur de l’histoire et du prestige de ce festival.
Cependant, les faits survenus lors de la cérémonie de clôture appellent, avec tout le respect dû aux institutions, une clarification d’ordre institutionnel.
Il a été constaté que les jurys officiels, dont je faisais partie, n’ont pas été en mesure de monter sur scène ni d’assumer publiquement leur rôle au moment de l’annonce des résultats, dans un contexte marqué par des décisions organisationnelles et protocolaires prises en dehors du cadre habituellement établi.
Par ailleurs, le déroulement de la cérémonie de clôture a été modifié, et un prix ne figurant pas dans le règlement officiel du festival a été instauré, plaçant ainsi les jurys dans une situation ne leur permettant plus d’exercer leurs responsabilités artistiques conformément aux règles en vigueur.
Face à cette situation, les jurys ont choisi, de manière collective, calme et responsable, de se retirer d’eux-mêmes du déroulement de la cérémonie. Cette décision ne procédait ni d’un différend personnel ni d’une volonté d’escalade, mais d’un souci de cohérence institutionnelle et de respect du rôle indépendant confié aux jurys.
Monsieur le Président de la République,
Ces faits, bien que circonstanciels, ont suscité une vive incompréhension au sein des milieux cinématographiques, tant en Tunisie qu’à l’étranger. Les Journées Cinématographiques de Carthage font l’objet d’une attention soutenue de la part d’artistes, de professionnels et d’institutions culturelles internationales, pour lesquels la clarté des règles, l’indépendance des jurys et la stabilité du cadre institutionnel constituent des critères essentiels de crédibilité.
Lorsque le cadre organisationnel d’un festival de cette envergure apparaît fragilisé, ou lorsque les instances artistiques se trouvent marginalisées au moment même où elles devraient être au cœur de la scène, l’image de la Tunisie en tant que pays respectueux de la culture, du droit et de la liberté de création peut s’en trouver affectée.
La présente démarche ne vise nullement à mettre en cause des personnes en particulier, mais à souligner, avec tout le respect requis, la nécessité de préserver une séparation claire entre la décision artistique et l’autorité administrative, condition indispensable à la pérennité de ce festival historique et à la sauvegarde de sa réputation internationale.
La protection des Journées Cinématographiques de Carthage, le respect de leur règlement intérieur et la préservation de leurs équilibres institutionnels ne relèvent pas d’un enjeu sectoriel. Ils participent pleinement de la préservation de l’image de la Tunisie et de sa place culturelle dans le monde.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de ma très haute considération.
Signature :
Ibrahim Letaief
Réalisateur