Shana Tova 5783 !

Shana Tova 5783 !
Chroniques
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Le Nouvel an juif a fait son entrée le dimanche 25 septembre et la fête sera célébrée durant plusieurs jours. C’est, selon le calendrier hébraïque, le début du mois de Tichri et celui de la nouvelle année. Dans la communauté juive tunisienne, on échangera les vœux en prononçant le rituel « Shana Tova » qui signifie « Bonne année ». Rosch Hachana est aussi connu comme le jour de la sonnerie. En ce sens, la corne de bélier – le shofar – est l’un des symboles de cette célébration. Sans doute, les anciens se souviennent-ils encore de l’époque où de nombreux « shofar » retentissaient un peu partout en Tunisie à l’occasion du Nouvel an. Cette tradition était en effet très suivie du côté de l’Ariana, Lafayette ou La Goulette et se maintient notamment à Djerba. Selon la tradition, on souffle de diverses manières dans cette corne de bélier pour inviter les fidèles au repentir et à l’introspection. Dans cette optique, il est important de souligner que Rosh Hachana est aussi lié à Yom Kippour qui interviendra dix jours plus tard. Ces dix journées sont placées sous le signe de la pénitence dans l’attente du Grand pardon de Kippour. Dans la tradition juive, Rosh Hachana, autrement dit la Tête de l’année est aussi l’anniversaire de la création d’Adam et Eve ainsi qu’un jour de jugement et de couronnement de Dieu. A ce titre, le premier geste d’Adam a été de s’adresser à toutes les créatures et déclarer Dieu roi de l’univers : « Venez, inclinons-nous, prosternons-nous, plions genou devant Dieu notre créateur » (Psaumes 95, 6). Bonne fête à tous et Shana Tova 5783. Pour ma part, je voudrais profiter de cette fête pour partager quelques pages de mon journal intitulé «Une Saison Juive», à paraître très prochainement. Ce journal a été écrit l’année dernière.

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Peut-être faudrait-il expliquer ma démarche à venir, en éclairer le sens avant d’entrer dans le vif du propos. Depuis lundi, je vis en pleine résonance avec plusieurs membres de la grande famille juive tunisienne. Même s’il m’arrive de l’employer, j’ai toujours au fond de moi-même récusé le qualificatif de «communauté». Car ce terme crée à la fois une césure et une distance, un écart qui sépare un groupe de la communauté nationale au nom de sa spécificité religieuse. Bien sûr, le réflexe communautaire est bien présent mais comment pourrait-il en être autrement quand on est issu d’une minorité qui continue à rétrécir. Là n’est pas mon propos pour le moment car je savoure encore le «seder» de lundi dernier et les deux premiers jours de Tichri qui sont synonymes de Rosh Hachana. De fait, je me place déjà dans la perspective de Souccoth ainsi que celle encore plus solennelle de Kippour. En cette période de l’année, je ressens plus fortement la judéité que je porte, ce sentiment diffus et profond que chaque enfant d’Abraham devrait connaître. Loin de moi les élucubrations mystiques ou les empathies trompeuses. Il se fait simplement que ces premiers jours de l’année hébraïque et leur cortège de traditions m’ont toujours interpellé. À chaque Rosh Hachana, je me promets de tenir un journal extime pour partager un peu de cette judéité que j’assume et revendique. Ce serait un moyen d’expliquer à mes lecteurs quelques versants ou versets d’une altérité paradoxalement commune à tous. Le sens ultime de Kippour, pour citer un exemple, mérite d’être mieux compris par ceux qui n’ont pas fait le chemin vers cette tradition. De même, la précarité qui structure les rites de Souccoth doit être comprise et assimilée pour se saisir pleinement de ce rituel. Enfin, pour rester au seuil de l’année, la splendeur de Simha Torah doit être expliquée en tant que rituel cyclique pour dire ce que sont la fidélité et la vénération. Je voudrais modestement expliquer tout cela en racontant aussi l’écume de mes jours, en tenant ce journal que je crois profondément marqué par cette judéité qui est notre racine commune, parfois oubliée et d’autres fois niée ou rejetée. Je tenterai d’écrire sans faire trop de phrases. Simplement dire ce qui doit l’être et surtout expliquer ce qui fonde un juif tunisien, sereinement et dans la limpidité relative de ce que je crois. Ce sont quelques pas que je voudrais faire vers la grande majorité des Tunisiens, ceux que je connais et qui me ressemblent ainsi que tous les autres dont les cœurs sont trop souvent hermétiques à une proximité indéniable. Pour moi, il s’agit aussi d’un chemin personnel que je voudrais partager, celui d’un agnostique qui se sait culturellement autant musulman que juif et chrétien. C’est d’une très longue proximité que je voudrais vous parler jour après jour (ou presque) tout en gardant les accents contrastés des lunes qui passent. Ces dernières heures, c’est une véritable avalanche de signes qui m’invite à prendre la plume. D’abord, la célébration de Rosh Hachana chez mon ami Georges où la plupart des convives étaient musulmans et curieux de mieux connaître la tradition juive. Ensuite, le fait que ce même lundi, je l’ai passé sur le tournage d’un documentaire sur les lieux de mémoire du judaïsme dans la Carthage antique. Enfin, et ce n’est pas la moindre des choses, j’ai été rasséréné par les échanges de vœux sur la Toile, ponctués par de festifs et sincères «Shana Tova» qui fusaient de partout. Me voici donc au deuxième jour du Nouvel an, en train d’écrire un prologue à ce qui devrait m’accompagner aussi longtemps que je saurais trouver les mots justes. Et pour terminer ce préambule, j’ajouterais que les Tunisiens ont une chance qu’ils ne goûtent pas toujours à sa juste saveur: nous sommes l’un des peuples qui, chaque année, accueille quatre fois le Nouvel an. Il suffit d’y penser, puisque nous fêtons non seulement le 1er janvier mais aussi le premier jour de l’année hégirienne, le premier jour de l’année ajmi dont le calendrier ponctue le travail de la terre et le Rosh Hachana juif. Cette diversité et cette profondeur de notre héritage témoignent bien du caractère pluriel de notre peuple. À nous de savoir cultiver et transmettre ce legs qui est un peu notre arc-en-ciel sous le croissant.

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Ce sera difficile de vous écrire tous les jours et d’être lu à ce rythme. Pourtant, je vais tenir bon car je sais qu’il faut continuer à partager cette réflexion. De plus, j’ai tant à dire même en faisant la part des banalités. Depuis lundi, la communauté juive tunisienne célèbre le Nouvel an. Cette fête de Rosh Hachana sera suivie quelques jours plus tard de la grande solennité de Yom Kippour. Ces dix jours de joie et de recueillement sont l’un des principaux temps forts de l’année liturgique. Un souhait, celui que les hauts magistrats de l’État tunisien présentent leurs vœux à la communauté juive comme le veut une tradition bien établie. Dommage que l’État tourne le dos à une composante du peuple tunisien, en s’abstenant de présenter des vœux au nom de nous tous. Loin de moi l’intention de polémiquer mais l’homme mûr que je suis se souvient bien des années soixante. En ce temps où j’avais à peine dix ans, l’État tunisien faisait son devoir devenu aujourd’hui d’autant plus crucial que la famille juive tunisienne est moins nombreuse. En ce temps, le principal quotidien francophone affichait en une la date du calendrier hébraïque à côté de celles grégorienne et hégirienne. Ne remuons pas le passé. Après deux jours où les familles ont partagé les «seder», le temps du recueillement va battre son plein. Jusqu’à Kippour. Chaque individu est face à lui-même, toute la communauté palpite et se nourrit de ces millions d’introspections. Dans les tréfonds de chaque conscience, la nouvelle année prend son essor. C’est là la beauté ultime de Rosh Hachana et son articulation avec le grand Pardon. Dix jours pour faire le ménage et les comptes. Dix jours pour mesurer ses propres erreurs. Dix jours pour se dire sa propre fragilité. Il n’y a pas à ma connaissance de plus cohérente manière pour un nouveau départ. Pour nos frères juifs, ce premier chabbat de l’année a une importance cruciale. La raison est des plus simples : le rituel de ce soir prend place après Rosh Hachana de quelques jours et avant Yom Kippour de quelques jours. C’est pour cela que cette occasion est propice à poursuivre son introspection et à se préparer au jeûne qui intervient en prélude à Kippour. Rompu aux rigueurs du Ramadan, je n’ai jamais jeûné vingt-quatre heures d’affilée et m’apprête à le faire pour la première fois, au dixième jour de la nouvelle année hébraïque. Cette expérience me tente et fera partie intégrante du chemin que je compte défricher. Je ne peux m’empêcher de penser que dix jours après le Ras El Am, le Nouvel an des musulmans, la Achoura est un rituel qui préconise aussi le jeûne. Cette tradition musulmane est d’autant plus proche du jeûne qui précède Kippour qu’elle a de toute évidence des racines juives. De plus, nous autres mangeons aussi du poulet et du pain sans levain pour la Achoura, un terme qui veut dire le dixième jour. Je le répète : ces dix premiers jours de l’année juive ont une importance capitale et sont à l’image d’un miroir dans lequel chacun s’observerait, évaluerait ses propres actions de l’année écoulée et soupèserait le sens à imprimer aux jours à venir. Je crois que pour Kippour, au fond, on célèbre sa propre précarité, le déséquilibre qui préside à nos vies et la relation insécable avec le sacré en ce qu’il conditionne nos actes, nos méditations ainsi que notre fragilité intrinsèque. C’est pour cela que nous devons un respect humble et sincère à ceux qui accomplissent ce rituel qui est en quelque sorte une fête sans fête et plus précisément une fête dépouillée des oripeaux de la liesse. Dans ce cas, la joie se confond avec le silence, l’abstinence et la frugalité. J’ajouterais que, pour Kippour, l’immanence est absolument partout et imprègne les êtres et la vie où qu’elle puisse être. C’est vrai que Kippour inspire énormément ceux qui se saisissent du sens transcendant de ce jour du Pardon. J’en fais partie et pourrais disserter longuement. Toutefois, je crois que l’essentiel est dit en attendant les actes et la quête de soi en soi.



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