Petite histoire des maisons de France

Petite histoire des maisons de France
Chroniques
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Il est de tradition que la fête nationale française du 14 juillet soit célébrée dans les jardins de la Résidence des ambassadeurs de France à La Marsa. Au lendemain de cette célébration, nous voudrions inviter nos lecteurs à découvrir quelques pages de l’histoire de cette résidence. Nous essaierons également de revenir sur l'histoire de deux autres maisons de France en Tunisie, à savoir la chancellerie qui se trouve sur l'avenue Bourguiba et le fondouk des Français qui abrita le consulat de France, dans la médina. Ces évocations nous mèneront naturellement à restituer la trace de Léon Roches, un diplomate français qui a marqué de son empreinte le milieu du dix-neuvième siècle à Tunis tout en contribuant à l'histoire de ces trois édifices. Commençons par Dar El Kamila. Le terme « Kamila » provient du substantif « al Kamal » qui signifie la « perfection ». Cette demeure des ambassadeurs de France a été ainsi nommée « La Parfaite » dès le milieu du dix-neuvième siècle. A l’origine, cette propriété se nommait Borj El Monastiri et avait été construite par le beau-frère de Hamouda Pacha à la fin du dix-huitième siècle. El Monastiri avait, en fait, construit une demeure traditionnelle, articulée autour de ses puits et vergers. La demeure allait connaître un destin princier puisqu’elle sera successivement habitée par Hussein Bey II puis deviendra plus tard la propriété de Mhamed Bey, autour de 1855. C’est à cette date qu’Al Kamila allait devenir le nom de la propriété qui allait alors passer entre plusieurs mains. En effet, Mustapha Khaznadar puis Ismail Sunni compteront parmi les propriétaires. Le consul français Léon Roches allait louer cette demeure qui deviendra ensuite la résidence d’été française. C’est le résident général Paul Cambon, à Tunis de 1882 à 1886, qui allait le premier y résider en hiver. A l’époque, Cambon prenait quotidiennement le train pour rejoindre la chancellerie. C’est également Cambon qui allait agrandir le domaine en rachetant en 1885 une parcelle de terrain qui allait jusqu’à la mer. La résidence sera agrandie à plusieurs reprises, notamment entre 1887 et 1890, par les soins du résident général Jules Massicault. Ces travaux dirigés par l’architecte Dupertuys ont donné tout son cachet à la demeure qui fut alors doté d’un kiosque de bains, des arcades de la cour d’honneur et du grand patio. L’ancien édifice du dix-huitième siècle avait fait son temps et la demeure allait peu à peu, surtout sous l’impulsion du résident général Lucien Saint, aboutir à sa configuration actuelle. Tout en préservant l’héritage ancien, Lucien Saint procéda durant les années 1920 à plusieurs agrandissements. Bien entendu, les jardins aussi avaient été réaménagés pour obtenir l’agencement actuel avec ses cyprès, palmiers et orangers ainsi que les allées ponctuées de bassins. Avec sa longue histoire, Dar el Kamila n’est pas la première résidence à avoir été occupée par les consuls français à La Marsa. En effet, en 1770, le consul de Saizieu avait obtenu du bey Ali Pacha II la jouissance du palais d’El Abdelliya. Il ne s’agit pas du palais que nous connaissons mais d’une autre demeure qui se trouvait sur la corniche de La Marsa. Cette demeure dite Dar el Hafsi a ainsi été occupée par les consuls français jusqu’en 1856, date à laquelle Léon Roches avait obtenu la location de Dar el Kamila.

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Construit, il y a plus de 150 ans, le bâtiment qui abrite l'ambassade de France en Tunisie est incontestablement le plus ancien édifice qui se trouve à la confluence de l’avenue de France et de l’avenue Bourguiba. L’actuelle avenue de France, au centre-ville de Tunis, est la plus ancienne extension connue hors de la médina historique. En effet, au milieu du dix-neuvième siècle, cette avenue continuait en quelque sorte le Quartier franc où se trouvaient intra muros les résidences de nombreux Européens et les consulats étrangers. Se développant hors les murs de la médina, ce nouveau quartier allait être gagné sur des terrains marécageux et débouchera sur l’avenue de la Marine (notre actuelle avenue Bourguiba) qui venait d’être tracée pour relier Tunis à son avant-port. C’est juste en face de l’ancien cimetière chrétien et de la chapelle dédiée à Saint-Antoine qu’allait être édifiée l’actuelle ambassade de France, à l’époque un simple consulat. Notons que le consulat historique se trouvait à la rue de l’ancienne Douane, dans la partie basse de la médina de Tunis. Il s’agit du Fondouk des Français qui accueillit durant deux siècles les représentants de la Nation française. C’est au consul Léon Roches que le nouvel édifice doit sa naissance. C’est lui qui a, en effet, convaincu Mhamed Bey de la nécessité de la nouvelle construction dont le terrain sera gagné sur les propriétés de la famille Ben Ayed. Ainsi, une convention du 31 décembre 1859 fut signée pour l’édification du nouveau consulat. Les plans furent rapidement dressés par l’ingénieur français Philippe Caillat, alors en Tunisie pour diriger la restauration des anciens aqueducs. La construction fut ensuite confiée à Pierre Colin, un architecte qui travaillait alors pour le bey de Tunis. Le chantier démarra en 1860 avec la construction d’un pavillon central, précédé d’une cour d’honneur et ouvert sur des jardins dessinés à l’anglaise. Deux pavillons annexes seront construits plus tard pour parachever l’édifice. Le pavillon central a été inauguré le 18 décembre 1861. Toutefois, alors que les travaux se poursuivaient, un bal fut donné dans les lieux en l’honneur du prince Napoléon en juin 1861. Au fil des décennies, le nouvel édifice allait connaître de nombreux aménagements. Ainsi, le pavillon central allait être restauré en 1890, avec la construction d’un nouveau grand salon. Les pavillons annexes seront reconstruits en 1904 sur les plans de l’architecte Raphael Guy. C’est de cette époque que date la grille de clôture dont une première ébauche avait été réalisée en 1889. Entre temps, le consulat avait été rebaptisé Résidence générale et gardera ce statut jusqu’en 1956 lorsque l’édifice deviendra l’ambassade de France en Tunisie. La petite histoire a retenu les visites de plusieurs dignitaires français à l’image du président Emile Loubet en 1903 ou celles du général Charles De Gaulle en 1943 et 1953. Désormais âgée de 162 ans, la chancellerie de l’ambassade de France à Tunis est ainsi le plus ancien édifice de l’avenue Bourguiba et un élément incontournable de la mémoire de la ville.

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C’est à la rue de l’ancienne Douane, non loin de Bab Bhar, que se trouve le Fondouk des Français. Construit au milieu du dix-septième siècle, ce fondouk est en réalité un double édifice comprenant la résidence des consuls de France, depuis 1661, et un fondouk des commerçants qui servait d’auberge aux nombreux marchands de la nation française. Donné en location aux consuls de France par les beys, ce fondouk changea souvent de mains durant sa longue histoire. En effet, la France l’ayant quitté en 1861 pour occuper le nouvel hôtel consulaire devenu aujourd’hui l’ambassade française, le bâtiment aura une destinée marquée par de nombreuses occupations. C’est le père Jean le Vacher, consul de France et également fondateur de l’Eglise Sainte-Croix à la rue Jamaa Zitouna, qui occupa le premier ce fondouk. Au fil des siècles, bien des visiteurs illustres ont résidé dans cette demeure parmi lesquels Chateaubriand à la fin du dix-huitième siècle. Ce fondouk des Français se trouve au cœur du Quartier franc de Tunis, le premier quartier européen de la ville. Autour de la rue de l’ancienne Douane et de la rue Zarkoun se trouvaient une dizaine de ces consulats étrangers (France, Italie, Allemagne, Pays-Bas, Angleterre, Etats-Unis d’Amérique). La plupart de ces ambassades ont disparu et les seuls édifices qui témoignent encore de cette époque sont l’ancienne ambassade britannique reconvertie en hôtel de luxe et le Fondouk des Français que nous évoquons dans cette chronique. Ce dernier est dans un état inquiétant pour ne pas dire lamentable. Malgré la plaque signalant qu’il s’agit d’un monument classé, l’édifice est en état de délabrement avancé avec risque de s’effondrer pour certaines parties. Récemment, les portes monumentales ont été pour l’une d’elles sorties de ses gonds et déposées sur le sol, en attendant une hypothétique réparation ou peut-être une disparition pure et simple au profit de brocanteurs sans vergogne. Ces portes du fondouk sont puissamment cloutées et représentent un exemple unique de l’architecture défensive de l’époque. A elles seules, elles donnent toute sa force évocatrice au site qui a abrité la nation française et représente une tranche d’histoire tunisienne. Terminons cette chronique par une évocation de Léon Roches. Longtemps, une rue de Tunis a porté son nom. Il s’agit de l’artère qui relie la rue Al Jazira à la rue d’Allemagne et qui porte aujourd’hui le nom de Mustapha M’barek. Se trouvant à proximité de Bab Bhar, la porte de Tunis qui donne sur la mer (d’où son nom), cette rue rendait hommage à Roches, consul de France en Tunisie. C’est Léon Roches qui avait convaincu le bey de l’époque de laisser la nation française construire son nouveau consulat hors les murs de la médina. Et c’est ainsi qu’en 1861, l’ancien fondouk des Français de la rue de l’Ancienne douane avait été abandonné pour le nouveau consulat qui est devenu aujourd’hui l’ambassade de France. En conséquence de ce déplacement, on commença à nommer cet accès maritime de la ville en utilisant l’expression Porte de France. Nous continuons d’ailleurs à le faire sans toujours connaître l’origine de cette dénomination. Certains disent même – et de façon erronée – « port » de France. Diplomate français, Léon Roches avait pris son poste de consul à Tunis en 1855. Auparavant, il avait connu les autres pays d’Afrique du nord : l’Algérie où il a appris l’arabe, servi comme traducteur dans l’armée et aussi comme secrétaire de l’émir Abdelkader ; le Maroc et la Libye où il sera interprète pour le compte du ministère français des Affaires étrangères. A Tunis, il était réputé pour sa bonne pratique de la langue arabe et aussi pour ses habits qu’il portait à la mode tunisienne. Né en 1809, Léon Roches décédera en 1901. Après son poste de consul en Tunisie, il rejoignit le Japon où il fut ambassadeur de France de 1864 à 1868. Son aura de légende plane encore sur ces trois maisons liées à l'histoire des Français en Tunisie.



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A Utique, scruter l’invisible des siècles…

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