Ilham Chahine : Le rôle de la femme dans le cinéma arabe est très important

Ilham Chahine : Le rôle de la femme dans le cinéma arabe est très important
Culture
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Lors de la cérémonie d’ouverture de la 2eme édition du Festival du Cinéma Méditerranéen Manarat qui s’est déroulée du 1 au 7 juillet 2019, l’actrice égyptienne Ilham Chahine, invitée d’honneur, a insisté sur le fait que la culture est un défi contre le terrorisme et contre les idées rétrogrades de ceux qui disent parler au nom de la religion. « Aujourd’hui nous sommes tous ensemble debout pour dire que l’Art et la culture sont les moyens de faire évoluer les goûts, les idées et la réflexion pour que nous puissions être des peuples meilleurs. J’ai craint, après les événements de jeudi dernier, que le festival puisse être annulé, or au contraire, nous n’avons pas peur et nous devons rester debout. L’Art et la culture sont les moyens qui vont nous permettre de faire face » a-t-elle dit.

Au programme de Manarat 2019, le film Yom lil settat (Un jour pour les femmes) (2016), réalisé par Kamla Abu Zekri et produit par Ilham Chahine est d’ailleurs également un moyen de combattre les idées rétrogrades et reflète parfaitement les convictions de l’artiste, qui y joue un rôle important aux cotés de Nelly Karim et Mahmoud Hemeda, eux aussi invités de Manarat 2019.

Le public tunisien s’est déplacé nombreux pour voir ce film, et est resté jusqu’à tard pour prendre part au débat qui a suivi la projection.

Je sais que vous êtes déjà venue à plusieurs reprises en Tunisie, vous avez aussi été membre du jury de la compétition officielle des JCC 2010 et vous étiez l’invitée du Festival Fen Gabes en Avril dernier.

En effet, et j’ai adoré ce jeune festival de Gabes, parce que convivial, amical, et je dirais même familial. On sent aussi que les invités et les professionnels qui y étaient présents aiment beaucoup le cinéma. J’ai vu le public, surtout le jeune public, enthousiaste et heureux d’avoir un festival dans sa ville, et j’ai été particulièrement heureuse de les voir aimer un cinéma différent et de qualité. Je suis convaincue que le cinéma peut changer la vie des personnes et avoir une grande influence sur eux, surtout le beau cinéma qui pousse à la réflexion et qui véhicule la culture des droits de l’homme, éveille les consciences et pousse à la réflexion à propos de la politique, de la religion vraie… Dans nos contrées, rares sont ceux qui lisent des livres, mais ils regardent tous des films au cinéma ou à la TV. J’aimerais que dans chacune de nos villes, il y ait un tel festival pour tous nos concitoyens.

C’est d’ailleurs pour cela que je suis aujourd’hui très heureuse d’être à nouveau avec le public tunisien qui est connu pour être un public connaisseur, pour assister au Festival du Cinéma Méditerranéen Manarat, qui me semble un festival différent. Il allie l’Art avec la beauté, la nature, la magie de la mer, le sable fin... Je trouve que c’est un excellent choix et une occasion de regarder des films de toute la mer méditerranée dans de belles conditions.

 

Ilham Chahine et Dorra Bouchoucha, directrice de Manarat
Ilham Chahine et Dorra Bouchoucha, directrice de Manarat

 

Votre film, Un jour pour les femmes, défend la cause des femmes. Pensez-vous que le cinéma peut faire évoluer les mentalités ?

Dans ce film, dans un quartier populaire, un jour de la semaine a été réservé pour l’accueil des femmes à la piscine, ces femmes pauvres, qui se baignent avec leurs djellabas et leurs vêtements. Après la projection du film, cela s’est réellement réalisé. En Egypte, dans plusieurs quartiers pauvres et dans certains petits villages, où il n’y avait aucun moyen de distraction, on a ouvert des piscines aux pauvres, qui n’ont pas d’argent pour prendre des vacances ailleurs, aller à la mer, prendre un abonnement dans un club avec piscine, et un jour de la semaine a été effectivement consacré aux femmes. Ce qui prouve encore une fois à quel point le cinéma est important et influent.

L’eau qui est très importante dans nos vies, a plusieurs significations. La propreté et la pureté, aussi bien intérieure qu’extérieure, mais aussi la liberté. La piscine, la nage, le fait de se retrouver en plein air, sous le soleil, c’est la liberté. La liberté du corps.

Ce film a aussi un autre sens important, il dit qu’avec l’amour, nous pouvons changer les choses. Nous avons tous nos problèmes, mais chacun d’entre nous, lorsqu’il a vécu une vraie histoire d’amour, lorsqu’il a accès à ces beaux sentiments amoureux, arrive à alléger ses souffrances.

L’amour et la liberté sont ce qui peut rendre les gens heureux. D’autant plus que c’est un bonheur qui n’a pas besoin de moyens financiers, c'est-à-dire que tous, pauvres ou riches, peuvent en jouir. C’est un des droits de l’humain, et donc également un droit de la femme qui n’a pas été créée juste pour travailler et servir sa famille, son mari et ses enfants. La femme ne doit pas uniquement consacrer sa vie aux autres, elle doit également vivre pour elle-même. C’est son droit. C’est le droit de toutes les femmes, quelque soit leur niveau ou statut social.

Un jour pour les femmes défend tous ces gens défavorisés qui habitent dans les quartiers pauvres et qui représentent la majorité dans nos sociétés, surtout arabes.

J’aime beaucoup ce film. Après avoir fait l’ouverture du Festival International du Film du Caire en novembre 2016, il a fait le tour du monde et a remporté 21 prix dans des festivals différents. A la 13eme édition du Festival International du Film Musulman de Kazan où il a été en compétition, il a même remporté trois prix ! Lors de cette édition du Festival du Caire, je vous avais vue participer à une table ronde sur le rôle de la femme dans le cinéma arabe et j’avais constaté que vous parliez avec véhémence contre les mouvements rétrogrades…

Ouiiiii, je suis contre complètement. Les islamistes veulent dominer et régenter nos vies avec des idées rétrogrades et fausses. Ce n’est pas cela le vrai islam. Ils ne s’occupent que des apparences extérieures mais la religion est plus pure, plus noble, plus profonde, que tout ce qu’ils disent à son sujet. La religion n’est pas de simples dogmes. La religion est humanité, la religion est moralité, la religion est partage. Je suis contre les idées rétrogrades qui veulent voiler la femme, l’empêcher de travailler, de sortir, de s'habiller librement…

Pour moi, la religion a un sens profond. J’ai fait peut-être bien plus de trente omras, j’ai aussi fait le pèlerinage à la Mecque, et je fais ramadan depuis que j’ai l’âge de sept ans. J’aime accomplir les devoirs que Dieu nous a imposés, mais par ailleurs, en même temps je veux vivre pleinement ma vie. La vie est belle. Nous devons tous vivre l’amour, la liberté, l’amitié, la beauté, l’Art… Pourquoi passer sa vie à penser à la mort et à préparer l’au-delà ? Vivons d’abord, et ensuite, Dieu est miséricordieux. Je suis sure que plus tard, nous irons tous au paradis inchallah!

 

Manarat - Ilham Chahine lors du débat qui a suivi la projection de son film Un jour pour les femmes
Manarat - Ilham Chahine lors du débat qui a suivi la projection de son film Un jour pour les femmes.

 

Que pensez-vous du rôle de la femme dans le cinéma arabe ?

Le rôle de la femme dans le cinéma arabe est très important. Un jour pour les femmes en est un parfait exemple : la scénariste est une femme, Hanaa Ateia, la réalisatrice est une femme, Kamla Abu Zekri, la directrice de la  photographie est une femme, Nancy Abdelfatteh, la productrice est une femme, Ilham Chahine, le producteur exécutif est une femme, Maysa Yousry, l’assistante réalisatrice est une femme, May Mamdouh… Sur le plateau de tournage, tous les techniciens étaient pratiquement des femmes, il y avait très peu d’hommes.

Le sujet est à propos de la femme : la femme pauvre, sa vie quotidienne, le regard que lui porte la société.

Un jour pour les femmes a joué un grand rôle et a influencé beaucoup de personnes. Tous mes films traitent d’une cause qui concerne la femme, et cela depuis mes tous débuts.

En Egypte, nous avons des scénaristes et des réalisatrices extraordinaires, sans oublier des professionnelles dans tous les domaines, comme les décoratrices, les directrices de la photographie… En réalité, notre cinéma repose pour une grande part sur les femmes, qui souvent en profitent pour faire des films qui défendent la cause des femmes. Ceci dit, je ne pense pas qu’il y ait des films pour les hommes et des films pour les femmes. Les hommes et les femmes ne peuvent vivre les uns sans les autres. Je préfère en fait dire que les films traitent de problèmes sociaux, qui concernent tous les membres de la société, or la femme en est un membre important. La femme est dans chaque maison, elle est la mère, la fille, la sœur, l’épouse, elle est et donne la Vie !

En Tunisie, nous réclamons de plus plus de droits pour les femmes…

La tunisienne a toujours été pour nous, l’exemple de la femme forte qui est arrivée à obtenir ses droits. Il faut que toutes les femmes de tous les pays arabes fassent comme vous.

Je sais que cela fait longtemps que vous réclamez en plus l’égalité successorale et j’espère que vous l’aurez. Avant lorsqu’on donnait deux parts à l’homme, c’était normal parce qu’il était responsable de la famille, et la femme ne travaillait pas. Aujourd’hui c’est différent. Il faut adapter la religion à son époque. De nos jours, il y a des femmes qui travaillent. Souvent elles subviennent aux besoins de toute la famille et prennent en charge les frais du ménage, des enfants, et parfois même de leurs propres parents, pourquoi donc devraient-elles hériter seulement la moitié ? Quelle est donc la différence entre un homme et une femme ? En réalité, ce sont des êtres humains responsables. Donc il faut une égalité entre eux dans tous les domaines

Le problème est que certains disent qu’on ne peut contrevenir à un verset coranique clair.

Chaque verset du Coran a été révélé dans des circonstances particulières qui existaient à l’époque de sa révélation. Aujourd’hui, puisque les circonstances ont changé, que la femme fait des études, qu’elle travaille exactement comme l’homme, et est devenue autant responsable de sa famille, pourquoi devrait-elle hériter moitié moins ?

Nous, égyptiennes, sommes avec vous, et si cela se concrétisait et que vous obteniez cette égalité successorale, vous auriez rendu un grand service à la femme. Cela aurait un énorme retentissement dans le monde arabe et peut-être qu’il pourrait le secouer enfin !

 

Ilham Chahine, invitée d'honneur de Manarat
Ilham Chahine, invitée d'honneur de Manarat

 

En Tunisie, chaque année, les filles réussissent mieux que les garçons, nous avons plus de 60% des médecins femmes, plus de 60% des professeurs universitaires femmes,…

Vous avez des femmes dans tous les domaines Vous êtes les seuls parmi les pays arabes à avoir un ministère de la femme. Je pense que vous êtes très en avance. En vérité, Habib Bourguiba, Allah yarhmou, vous a rendu service et a rendu service à tous les pays arabes. Il était réellement une personnalité extraordinaire, clairvoyante et éclairée. Il est le chef d’Etat qui a le plus rendu service à la cause de la femme et nous voulons que ses idées soient enfin appliquées chez nous.

En Egypte, Asfa, arfoudhou attalak (Pardon, mais je refuse le divorce)(1985), inspiré de la Tunisie (et c’est précisé dans le film), a crée une grande polémique à sa sortie. Dans ce long métrage, l’épouse refuse que son mari la répudie et lui intente un procès. Ce que je trouve normal parce qu’il est totalement injuste qu’un homme répudie sa femme d’une façon unilatérale. Comme ils ont été deux à donner leur consentement pour se marier, il est normal qu’ils soient deux à accepter de se séparer. C’est un droit essentiel de la femme. Ce sont justement les films comme celui-ci qui changent les mentalités et c’est un des rôles que le cinéma doit remplir. Il faut dire que Inaam Mohamed Ali la réalisatrice et Nadia Rachad la scénariste, ont été excellentes et à travers ce très beau film, elles ont pu contribuer à faire réfléchir les gens. Pourtant ce film n’a pas aidé à changer la loi chez vous et la répudiation existe encore.

C’est vrai, nous sommes plus de 100 millions d’habitants, et pour qu’on puisse faire des compromis avec tous ces gens ce n’est pas facile, surtout que le poids de la religion est très important.

Certains films arrivent pourtant à réellement changer les choses. Par exemple Ouridou hallan (Je veux une solution) réalisé par Said Merzouk en 1975 avec Faten Hamama dans le rôle principal. Grace à ce film, il y a eu la loi sur le khôl’ (La dissolution du mariage à l'initiative de l'épouse moyennant versement par celle-ci d’un dédommagement). Les gens avaient pris conscience qu’il était totalement injuste qu’une femme passe des dizaines d’années dans les tribunaux pour essayer de divorcer et n’y arrive pas. Et c’est ainsi que la loi a été enfin votée. Quels sont vos projets futurs ?

Cette année, j’ai deux films en cours, je suis très enthousiaste, l’un s’appelle Couvre feu écrit et réalisé par Amir Ramsès et l’autre Les gens de la honte écrit par Tamer Habib et réalisé par Mohamed Yassin.

Rien en Tunisie ? Non malheureusement rien pour le moment, mais je l’espère bien !

 

Neïla Driss

 

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