Neji Jalloul : "Accepter le retour des terroristes, c’est consentir à cohabiter avec les criminels de Soliman !"

Neji Jalloul : "Accepter le retour des terroristes, c’est consentir à cohabiter  avec les criminels de Soliman !"
Tunis-Hebdo
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En cette période d’effervescence électorale, tous les regards se portent sur le truel entre Ennahdha, Nidaa Tounes et le nouveau-né de Youssef Chahed, Tahia Tounes. Quel parti remportera les législatives et lequel verra son candidat devenir le cinquième président de la République tunisienne ? Entretemps, notre système éducatif, dont le modèle est tombé en désuétude depuis des lustres, part en lambeaux et le retour des terroristes de Daech pèse de tout son poids sur la sécurité des Tunisiens. Connu pour son franc-parler, Néji Jelloul, directeur de l’Institut tunisien des études stratégiques (ITES) et ancien ministre de l’Education nationale, nous donne son avis sur la situation actuelle du pays. Entretien :
Qui est derrière le retour des terroristes en Tunisie ? Ce retour pose un gros problème de sécurité et de souveraineté. Notre pays est encore confronté au terrorisme et au réseau daechien, comme en témoignent le foyer taliban de Regueb et les lettres de menaces d’Aqmi. Accepter le retour des terroristes, c’est consentir à cohabiter avec les criminels de Soliman ! Pour rappel, ces derniers sont, par la suite, devenus le noyau d’Aqmi. La Tunisie ne doit pas céder à la pression internationale car on est un pays souverain. De plus, nous ne sommes pas mieux armés que certains pays occidentaux qui ont manifesté leur refus quant au retour de leurs propres terroristes. Je pense à l’Ukraine et au Royaume-Uni. Comment peut-on envisager de prendre en charge les enfants de Daech alors que nous sommes incapables de surveiller nos propres enfants ? Je pense qu’on ne peut pas empêcher des enfants innocents de retourner en Tunisie malgré le fait qu’ils soient nés à l’étranger. L’Etat doit les prendre en charge, les mettre dans des familles d’accueil et leur donner une éducation spécifique. L’Etat est-il complice ou impuissant vis-à-vis de la montée de l’intégrisme religieux en milieu scolaire ? Les écoles dites coraniques ne sont ni des écoles ni coraniques. Ce sont des institutions talibanes qui ont vu le jour en 1965 au Pakistan. En Tunisie, les Talibans sont apparus sous la Troïka qui a joué un rôle moral dans la prolifération de ces écoles à travers des associations présumées caritatives. C’est à cette époque qu’on a pu assister à l’émergence d’Ansar Chariâa et au va-et-vient des prédicateurs venus d’Orient. Cette «complicité» ou passivité à l’égard du phénomène djihadiste fut le déclencheur ou le catalyseur qui a poussé une jeunesse mal scolarisée, marginalisée, pauvre et exclue de rejoindre le foyer de la guerre en Syrie et en Irak. À mon avis, les dirigeants de la Troïka doivent assumer leurs erreurs et présenter des excuses publiques au peuple par rapport à cet épisode tragique de notre Histoire. Que pensez-vous du sit-in universitaire qui s’est tenu ce mercredi 20 février à la Kasbah ? Je suis profondément solidaire avec mes collègues universitaires. On ne peut pas faire de la recherche universitaire avec un salaire de moins de 700 euros par mois. La passivité de certains aura pour conséquence l’appauvrissement de l’élite, la décadence du pays et la fuite inéluctable des cerveaux. Le sociologue Gustave Le Bon disait : «Le véritable progrès démocratique, c’est quand l’élite tire la foule par le haut». La destruction de l’élite ne peut faire que le lit de l’islamisme. Qu’avez-vous à dire quant à la façon dont Hatem Ben Salem a géré la grève des enseignants ? Et qu’auriez-vous fait à sa place ? Je suis un commis de l’Etat qui vénère l’Etat et le droit de retenue me prive de tout commentaire. Que reste-t-il du passage de Néji Jelloul au ministère de l’Education ? Il y a deux façons de faire de la politique. Il y a des politiciens comme moi qui sont porteurs d’un projet et qui considèrent que l’éducation est le fondement de la République tunisienne. Je suis enseignant depuis 30 ans et j’ai assisté avec tristesse à la décadence de l’école tunisienne. À l’Education, j’ai voulu rallumer la flamme de feu Mohamed Charfi. Car l’éducation avait besoin de réformes structurelles liées à l’évolution de l’école à travers le monde. L’école de 1960 est dépassée ! Je me suis battu pour l’école numérique. J’ai créé l’Office des œuvres scolaires pour assurer un repas et un espace de vie décent aux élèves. On a, ainsi, restauré près de 4000 établissements et rendu l’école au centre du débat public. J’ai lancé un programme de réforme avec les ONG et l’UGTT à travers la rédaction d’un livre blanc qui est resté lettre muette sur le bureau du chef du gouvernement. Voici en quoi consiste la première façon de faire de la politique : vous êtes convaincu de la légitimité d’un projet et vous tentez de l’appliquer contre vents et marées. J’aurais pu rester des années en cherchant à contenter tout le monde mais cela ne me ressemble pas. Si c’était à refaire, je ferai la même chose. De plus, je suis intimement convaincu que le problème fondamental de l’éducation d’aujourd’hui est la formation des formateurs. De ce fait, je suis très heureux d’avoir été l’instigateur de la maîtrise et du master en sciences de l’éducation qui vont, je l’espère, donner une nouvelle génération d’enseignants adaptés aux progrès du savoir. Votre avis sur l’éviction de Ridha Belhaj de Nidaa Tounès... Nidaa Tounès a vu le jour en 2012. Ce fut la tente sous laquelle se sont réfugiés tous les Tunisiens, de gauche comme de droite, traumatisés par les bandes salafistes, leur drapeau noir et leurs cris de haine. Je pense que les Tunisiens se sont rendu, véritablement, compte du danger qu’ils représentent lors de l’assassinat de Chokri Belaïd. Nidaa est né dans la douleur et a, tout de même, réalisé quelque chose de fantastique qui est de faire sortir les islamistes par les urnes et les faire quitter le pouvoir de façon pacifique. Malheureusement, l’origine politique mise en place par la Troïka rend le pays ingouvernable. On aurait pu se cacher derrière une pseudo virginité républicaine et s’abstenir de gouverner avec Ennahdha mais on l’a fait et c’est de cette manière que les problèmes ont commencé. Beaucoup nous ont reproché ce partenariat qui est conjugué à un parti dont l’âge ne dépasse pas les 4 ans et qui n’a pas eu le temps de mettre en place des institutions solides. Conséquences, Nidaa est fragilisé et collectionne les démissions, dont celle de Belhaj. Personnellement, je suis contre le renvoi de n’importe quel membre du parti car Nidaa n’est la propriété de personne. Le prochain congrès qui va donner une direction démocratique et un véritable projet politique dans la continuité du projet national initié par Bourguiba en 1959 va permettre l’émergence de nouvelles compétences nationales. En créant Tahia Tounès, Youssef Chahed a-t-il offert la victoire à Ennahdha aux prochaines élections ? Tahia Tounes est un parti virtuel qui se veut la photocopie de Nidaa. Personnellement, je préfère l’original. Ce nouveau parti est, à mon sens, déjà un allié potentiel d’Ennahdha et j’espère qu’il ne sera pas un nouveau Ettakatol. Car le clivage essentiel de ce pays est entre l’islam politique et le grand courant national qui portera encore longtemps le génie de Bourguiba. Comment peut-on sortir de cette crise socio-économique ? Notre système éducatif était excellent dans les années 60 et 70 mais la sélection a mis sur le banc des exclus. Cet héritage conjugué à une communauté entière est l’origine des maux de la Tunisie. La rente est tellement élevée dans ce pays qu’elle tue l’investissement et l’économie. Il faut réformer l’école pour redonner vie à l’ascenseur social. Il faut avoir le courage de rompre avec le vieux modèle de développement basé sur une main-d’œuvre bon marché et se tourner vers des secteurs d’avenir tels que le numérique, l’intelligence artificielle, l’agroalimentaire et l’économie bleue. Des secteurs à haute valeur ajoutée, plus values qui permettront d’absorber le nombre élevé de chômeurs diplômés. Car un des moteurs de la Révolution fut cette catégorie de personnes. Malheureusement, notre gouvernement est cramponné aux vieilles recettes économiques qui ont fait leur temps. On ne sort jamais d’une crise économique avec des recettes traditionnelles. Lisez Keynes ! Certains disent que l’ITES est le frigo des grandes gueules de la politique... Tout d’abord, je ne suis pas une grande gueule de la politique ! Mon rôle en tant qu’universitaire est de moraliser la politique sans tomber dans le combat de coqs. Sénèque disait : «Pas de vent favorable pour celui qui ne connaît pas son port». Peut-être que l’ITES est un frigo, mais compte tenu de mon respect pour l’Etat et des deniers publics, j’en ai fait, et j’en suis fier, un laboratoire d’idées et un temple de l’intelligence tunisienne tant chantée par Belaïd. On a des données et des solutions pour sortir de la crise économique, réformer le secteur agricole, la santé publique et relancer les activités maritimes dans le respect de l’environnement. Nos travaux sur le terrorisme sont repris par les grands centres de services mondiaux et la presse internationale. Honnêtement, je pense que le frigo a été chauffé à des milliers de degrés Celsius. J’ajouterai que grâce à notre équipe de combattants, on va diffuser la lumière du savoir dans un pays qui a connu, un certain temps, le rideau noir de l’islamisme.

Interview réalisée par Mohamed Habib LADJIMI Tunis-Hebdo du 04/03/2019




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