Figures marquantes de notre beau pays : Cheikh Salem Bouhajeb

Figures marquantes de notre beau pays : Cheikh Salem Bouhajeb
Tunis-Hebdo
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Cheikh Salem Bouhajeb est né à Bembla (gouvernorat de Monastir) vers 1828. Son père était originaire de la Tribu Sidi Mhaddheb qui campait au sud de Sfax. Quant à sa mère, elle était de Kalaâ Kebira. Sa famille, les Slama, émigreront, par la suite , à Tunis. Il passa son enfance dans son village natal, y menant l’existence des fils de paysans. Il fit ses études primaires à Bembla et apprit le Coran. Puis il vint à Tunis et habita chez son oncle paternel qui était le précepteur des fils de Mustapha Agha, au Bardo. Mohamed El Fadhel Ben Achour qui a consacré à Bouhajeb un article exhaustif (qui est notre principale source) affirme que le jeune garçon qui devait être âgé de quinze ans environ, n’avait pas l’intention de poursuivre ses études à Tunis. Or, il advint qu’Ahmed Pacha Bey instaura l’enseignement régulier à la Mosquée Ez-Zitouna. Cela l’incita à s’inscrire et il s’adonna, corps et âme, à ses études. Il eut pour professeurs les meilleurs de son temps (Mohamed Ben Mlouka, Ibrahim Riahi, Mohamed dit Hamda Ben Achour, Mohamed Mouaouia, Mohamed El Khaddhar, Mohamed Belkhouja et Mohamed Enneïfer). Il était d’une intelligence remarquable et n’arrêtait pas d’interroger ses maîtres sur tout et sur rien. Tant et si bien qu’il ne tarda pas à se faire remarquer dans le milieu des lettres et on lui reconnut, à juste titre, du génie. Citons Sadok Zmerli « En effet, ce garçon que la flamme du savoir brûlait dès sa prime jeunesse, et dont l’avidité d’apprendre avait frappé aussi bien ses proches que les hommes cultivés de son Sahel natal, allait, aussitôt ses études primaires terminées, et une fois admis au sein du monde particulier de la véritable Université de l’Olivier étonner tous ses condisciples par des initiatives et des démarches qu’aucun d’entre eux n’eut osé entreprendre, au risque de s’exposer à l’irritation ou au courroux désapprobateur du corps professoral. Ne s’était-il pas permis la liberté, voire l’audace, de harceler les doctes professeurs de questions embarrassantes ou insidieuses sur des points obscurs à ses yeux, concernant certains sujets controversés, ou de les poursuivre quelquefois jusqu’à leur demeure, pour solliciter l’explication écrite ou le texte pouvant l’éclairer réellement à cet égard et lui épargner, du même coup, des recherches fastidieuses et épuisantes, auxquelles ses moyens limités ne lui eussent pas permis de se livrer, et qui, souvent s’avéraient décevantes ou infructueuses ? Il devint une sommité dans la connaissance de la langue et de la poésie arabes. Il n’hésitait pas à se rendre à maintes reprises à pied au Bardo pour consulter le dictionnaire (لِسان العرب) qui se trouvait dans la bibliothèque de Mustapha Agha. Tant et si bien que la matière de ce dictionnaire n’eut plus de secrets pour lui et qu’il apprit presque par cœur. Il continuera, d’ailleurs, à enrichir ses connaissances linguistiques jusqu’à la fin de sa vie. Un jour, il demanda au Cheikh Ibrahim Riahi l’autorisation d’emprunter un ouvrage de la bibliothèque d’Ez-Zitouna pour le consulter à loisir chez lui. Le cheikh refusa de lui accorder l’autorisation d’emporter l’ouvrage (rare) en question, de peur qu’il ne l’égarât. Il composa alors un poème dans lequel il exposa au cheikh la question qu’il voulait étudier dans cet ouvrage et lui demanda avec beaucoup de tact et non sans humour de bien vouloir la lui expliquer– à défaut de l’ouvrage. Ce poème fit beaucoup de bruit et le rendit célèbre parmi les hommes de lettres. Tant et si bien que le Cheikh El Islam Mohamed Beyram IV le prit sous sa protection, lui ouvrit sa riche bibliothèque toute grande et en fit l’un de ses familiers. Grâce à lui, Salem Bouhajeb fit la connaissance du grand poète et linguiste Mahmoud Kabadou qui développera encore plus ses dons littéraires. Il fit, également, la connaissance du Syndic des Nobles Mohamed Tahar Ben Achour à qui le lia, une très grande amitié. Son éloquence hors pair et son génie littéraire firent que sa renommée ne se cantonna pas aux milieux littéraires mais parvint aux hommes d’Etat. Il fit la connaissance du Conseiller Amir el Oumara Mohamed El Baccouche puis d’Amir al-lioua أمير اللواء Hmida Ben Ayed dont il devint l’un des plus proches intimes. Sur intervention de Beyram IV, Bouhajeb fut nommé Secrétaire de la Municipalité de Tunis lors de sa création. Cela lui permit de connaître le général Husseïn et Khéreddine Pacha. Les liens d’amitié qui le lièrent au général Husseïn furent tellement solides que ce dernier léguera le tiers de sa fortune aux enfants de son grand ami. Une admiration réciproque le liera non moins solidement à Khéreddine et cette amitié indéfectible se manifestera dans les bons comme dans les mauvais jours, c’est-à-dire lorsque Khéreddine connaîtra la disgrâce. Il aidera Khéreddine, à rédiger son ouvrage célèbre « Aqwam el Massalik » et en corrigera le brouillon et les épreuves lors de son impression. Salem Bouhajeb remplira, d’autre part, plusieurs missions et se verra confier plusieurs missions et il verra confier plusieurs hautes fonctions politiques et administratives : membre du Conseil Suprême créé par la Constitution de 1861, rédacteur en chef de la Commission financière internationale créée par décret beylical du 4 avril 1868, etc. Il accompagnera, d’autre part, Khéreddine en Turquie lorsque fut confiée à ce dernier la mission de dissiper les nuages et de renouveler et raffermir les liens entre le Bey et la Sublime Porte. Mais la fonction principale de Salem Bouhajeb fut d’enseigner à la Mosquée Ez-Zitouna durant plus de soixante ans. Il le fit, d’abord, bénévolement, puis fut nommé professeur de 2ème classe en 1853, puis de 1ère classe un an après. Il contribua, durant cette longue période, à l’essor des Lettres et forma des générations d’élèves qui formèrent à leur tour de nombreux élèves. Ce qui valut à Salem Bouhajeb de son vivant, le titre de شيخ الشيوخ (Le Maître des Maîtres). Il était indépendant d’esprit ne se contentait pas de faire siennes les conclusions auxquelles ses prédécesseurs étaient arrivés mais avait une vision personnelle des choses et un sens critique très développé. Ses cours étaient très fréquentés et les étudiants en tiraient un très grand profit. En réformiste convaincu il milita pour l’enseignement des mathématiques et des sciences naturelles à la Mosquée Ez-Zitouna. Il applaudit, d’autre part, chaleureusement, à la fondation de la Khaldounia. Il prononcera, lors de son inauguration, un discours très apprécié dans lequel il exalta l’initiative qui avait présidé à sa fondation et le fait qu’allaient y être enseignées des matières indispensables à l’homme moderne. Dans le même ordre d’idées, il fut l’un de ceux qui accueillirent à bras ouverts le Cheikh Mohamed Abdou, lors de ses deux visites en Tunisie en 1884 et en 1903. Il partagera tout à fait ses idées réformatrices et les deux hommes s’estimèrent beaucoup, réciproquement. Par ailleurs, les nombreux voyages que fit Salem Bouhajeb en Orient et en Occident lui furent très bénéfiques. Outre la Turquie, il accompagna en Italie le général Husseïn qui s’y était rendu pour demander des comptes au Caïd Nessim Chemama qui avait détourné de grosses sommes d’argent aux dépens du gouvernement tunisien et s’était enfui, et lui intenter un procès. Salem Bouhajeb séjourna six ans en Italie avec le général Husseïn jusqu’au règlement de cette affaire. Voici qu’écrit Sadok Zmerli à ce sujet : « Ce long séjour dans la péninsule voisine, entrecoupé de déplacements brefs ou prolongés, aura été utilisé au maximum par l’éminent voyageur pour, en apprenant la langue, s’initier sérieusement à la civilisation italienne à travers les monuments de sa grandeur passée et les œuvres marquantes de ses écrivains. Qu’on ne s’étonne donc pas lorsque rentré en Tunisie quelque temps après le Protectorat, le grand cheikh, fortement marqué par ce long séjour, ait, en reprenant ses cours, cru pouvoir sans malice, émailler ses doctes explications de mots ou de phrases entières, empruntés à la langue de Machiavel ou de Lucrèce, au grand ébahissement de ses auditeurs, surpris de le voir recourir si souvent à des vocables étrangers, dont l’intelligence, sans ses lumineuses explications, leur eût totalement échappé ». D’Italie, il fera un saut à Paris pour visiter la Foire Internationale. Dans la Ville Lumière, il rencontra son ami Mohamed Beyram V. De retour à Tunis, plein d’âge et de raison, ses sermons à la Mosquée Sobhane Allah سبحان الله draineront les grandes foules. Ces sermons, réunis en volume, font encore le délice de nombreux lecteurs. Quant à sa parfaite connaissance de la langue et de la littérature arabes, elle faisait l’admiration de tous et, entre-autres, d’Ahmed Farès ech-Chidyak أحمد فارس الشيداق auteur de « As-Saq ala assaq » الساق على الساق et de « L’espion du dictionnaire » جاسوس القاموس Tout le monde lui reconnaissant, également, une suprématie incontestable en matière de sciences religieuses. Il était, par ailleurs, excellent poète. Malheureusement, son recueil poétique (en deux tomes) est, encore, à l’état de manuscrit. Salem Bouhajeb fut nommé Mufti en 1906 puis, honneur suprême, Cheikh el Islam, peu après, fonction qu’il conservera jusqu’à sa mort survenue en 1925. A sa mort, il était âgé de plus de 95 ans. Mais il avait conservé toutes ses facultés mentales absolument intactes. Il est mort à la Marsa. On lui fit des funérailles nationales et il fut enterré au Jellaz. Le Bey Mohamed Lahbib assista, en personne, à son enterrement. Citons une dernière fois Sadok Zmerli : « Si les descendants directs du grand orateur sacré ont tous disparu aujourd’hui, non sans avoir apporté dans l’administration ou ailleurs une indéniable contribution à l’édification moderne de leur pays, leurs successeurs immédiats ont aussitôt pris leur relève en participant sans tapage ni ostentation à sa vie sociale et politique. A cet égard, le mérite en revient sans contredit au petit-fils, par sa mère, du vénérable Cheikh, notre vieil ami Ali Bouhajeb, humaniste accompli et débater redoutable et expérimenté. Quel Tunisien d’âge moyen pourrait oublier l’activité déployée par cet homme, modeste et courtois, durant plus de cinquante ans dans différents domaines, au service de son pays ? Qui pourrait oublier, surtout ses campagnes retentissantes et courageuses, que des années durant, il avait engagées sous la signature du Guenillard, soit dans la « Voix du Tunisien » soit dans « L’Action » pour défendre, avec un mordant et une verve dont il avait le secret, ses compatriotes déshérités contre les empiétements incessants et les injustices des régimes passées ? ».

Moncef CHARFEDDINE Tunis-Hebdo du 03/09/2018




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