Moncef Marzouki : "La révolution tunisienne, c'est un échec complet"

Moncef Marzouki : "La révolution tunisienne, c'est un échec complet"
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L'ancien président, Moncef Marzouki a accordé une interview au journaliste Benoît Delmas du journal Le Point Afrique. Interview qui a été publiée ce mardi 4 octobre et dans laquelle Moncef Marzouki exprime sa vive préoccupation quant à l'échec de la révolution tunisienne.
Pour l'ancien président le printemps arabe a été liquidé et le processus révolutionnaire arrêté. Moncef Marzouki, "qui ne s'était plus exprimé depuis sa défaite au second tour des présidentielles de 2014, accuse sans détour : la situation est périlleuse tant les objectifs de la révolution ont échoué. Il accuse également l'ancien régime d'avoir repris le contrôle du pays de façon "sophistiquée". Moncef Marzouki annonce, en outre, qu'il va revenir "dans le débat politique maintenant".
"La Tunisie ne va pas bien du tout..."
Des critiques acerbes de Moncef Marzouki qui ne mâche pas ses mots : "La Tunisie ne va pas bien du tout. Je suis désolé de le dire mais on présente à l'étranger la Tunisie comme une « success story », or c'est loin d'être le cas. Cette image est due aux autres catastrophes, syriennes, libyennes, irakiennes… Mais par rapport au projet de la révolution tunisienne, c'est un échec complet", dit-il.
"L'ancien système a été rétabli avec beaucoup de finesse..."
"Les deux grands thèmes de la révolution – la démocratie et la justice sociale – ont été totalement balayés et l'ancien système a été rétabli avec beaucoup de finesse. Une success-story, c'est fait pour durer. Les illusions, non. La Tunisie est devant une crise morale, une crise politique, une crise économique", constate l'ancien président.
"La Tunisie vit une démocratie de plus en plus pervertie, de plus en plus mafieuse, une puissance formidable de la corruption..."
"Le Printemps arabe a été le point de départ du processus, il a été avorté mais il va recommencer. Aucun des problèmes posés par le Printemps arabe, y compris en Tunisie, n'a été solutionné. La Tunisie vit une démocratie de plus en plus pervertie, de plus en plus mafieuse, une puissance formidable de la corruption, de l'argent sale dans les médias. Le rêve de la justice sociale a été complètement oublié car les corrompus sont revenus encore plus forts que jamais et la Tunisie est désormais l'un des pays les plus corrompus de la région. Cette success-story est un faux succès", dit Marzouki.
"Avec Béji Caïd Essebsi le ver a été mis dans le fruit..."
"À partir de la nomination de Béji Caïd Essebsi à la tête du gouvernement en mars 2011. Le ver a été mis dans le fruit. Nous sommes arrivés [NDLR : la troïka] au pouvoir par les urnes fin 2011. Nous voulions jouer le jeu de la démocratie mais ils ne l'ont pas voulu. Dès le premier jour, ça été le sabotage de l'économie, des grèves à n'en plus finir, les deux assassinats politiques comme si nous les avions commandités… Tout a été fait pour nous discréditer", accuse-t-il.
"La Tunisie est désormais dans un état de saleté voulu par l'État profond..."
"La Tunisie, qui était un pays propre, est désormais dans un état de saleté voulu par l'État profond. Un acte prémédité. J'ai compris qu'il voulait démontrer l'incurie du gouvernement. Cet appareil est là depuis cinquante ans. Sont arrivées ensuite les actions terroristes, le coup d'État en Égypte et ils en ont profité. Les médias ont joué un rôle terrible. En fin de compte, ils ont remporté les élections mais avec très peu", constate Moncef Marzouki.
"Je refuse de pactiser avec ces gens, je ne suis pas Ennahdha..."
Même Ennahdha reçoit des coups : "L'ancien système est revenu mais pour la dernière fois. Ils ont étalé leur incompétence et leur corruption. Les Tunisiens sont dégoûtés. Ma grande peur, c'est que ce sont des gens qui ne lâchent pas le pouvoir. Je refuse de pactiser avec ces gens, je ne suis pas Ennahdha. Essebsi est le dernier feu de paille de ce système. Les conglomérats de mafias savent qu'ils ne gagneront qu'en trafiquant les élections. Sinon, ils perdront. Le peuple ne l'acceptera pas".
A propos d'Ennahdha : "Ils ont la trouille..."
A propos d'Ennahdha, Marzouki a son avis sur la question de l'alliance entre le parti de Rached Ghannouchi et Nidaa Tounes : "Aujourd'hui, leur alliance avec Essebsi est basée sur la peur. La peur d'être éliminé. Ils ont la trouille depuis le coup d'État en Égypte en 2013. Ils ont paniqué. S'ils veulent faire partie de ce régime qui est de plus en plus détesté par les Tunisiens, c'est leur problème. Ce n'est plus le mien".
"Ce système doit disparaître"
Selon Marzouki, la Tunisie doit "rompre définitivement avec le système Bourguiba-Ben Ali-Essebsi basé sur le clientélisme, la famille, le régionalisme, le népotisme. Ce système doit disparaître pour que la Tunisie devienne un État moderne. Je vous garantis que cela aurait dû être le cas dès 1981. Ils ont préféré falsifier les élections et cela a donné Ben Ali, vingt-trois ans de dictature. 2019 sera la fin de ce régime qui dure depuis soixante ans. Tout cela doit se faire dans le cadre des institutions et la Tunisie ne doit pas basculer dans la violence".
"Il y a quelque chose de tragicomique dans la révolution tunisienne..."
"Il y a quelque chose de tragicomique dans la révolution tunisienne. Elle a été faite par des pauvres pour améliorer leur situation et cela a ramené l'ancien système… Il y a de quoi désespérer. Le taux de suicide est très important, le nombre de jeunes qui partent chez Daech aussi, ceux qui traversent la Méditerranée… Et ceux qui ont saboté la révolution se pavanent dans le monde entier en faisant croire qu'ils sont les auteurs de la révolution tunisienne !", lâche l'ancien locataire de Carthage.



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