Tunisie : Le sceau de l’improvisation

Tunisie : Le sceau de l’improvisation
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Tunis Hebdo | Les contestations des jeunes dans les différentes régions du pays contre le chômage et la marginalisation sont tombées de plusieurs crans depuis quelques jours. Mais, elles se poursuivent et elles pourraient même s’éterniser pour devenir des scènes quotidiennes auxquelles on doit s’habituer avec ce que cela puisse entraîner comme retombées sur la stabilité sociale et politique du pays. Le gouvernement a réagi, tout d’abord, par une série de décisions improvisées qui n’ont pas eu l’impact souhaité par ceux qui les ont annoncées. Au contraire, les régions touchées par le fléau de l’inactivité et du désœuvrement ont aussi revendiqué leur part, ce qui n’avait fait qu’aggraver la situation. Face à cette indécision et ces hésitations, le gouvernement a rectifié le tir après des réunions avec les principaux partis politiques et une longue séance d’audition au sein de l’Assemblée des Représentants du Peuple. C’est par la suite que le Chef du gouvernement a annoncé une série de nouvelles mesures destinées, a priori, à ouvrir de nouvelles perspectives pour les milliers de jeunes, notamment les diplômés, afin de les sortir de leur oisiveté et de les aider à avoir des ressources en vue de leur garantir les moyens de vivre de manière décente. Les mesures annoncées par Habib Essid peuvent être scindées en deux catégories. Les unes seront concrétisées de manière indiscutable, notamment celles ayant trait au recrutement de 23.000 nouveaux agents publics au sein de l’administration. Cette mesure sera appliquée parce qu’elle est prévue dans le budget général de l’Etat 2016. Les autres mesures demeurent aléatoires dans la mesure où elles sont liées à plusieurs autres conditions pas aussi simples ni faciles à mettre en œuvre. Sans faire figure d’oiseaux de mauvais augure et sans verser dans l’hostilité à l’égard de tout ce que ce gouvernement peut faire ou dans une opposition systématique, il nous semble qu’elles ont quelque chose d’aléatoire. Tout d’abord, la suppression de l’exigence de toute garantie financière comme condition d’accès aux prêts pour les jeunes diplômés désireux de créer des projets. Il s’agit, à notre sens, d’une mesure peu réaliste pour ne pas dire farfelue. La résolution en soi est positive mais sa réalisation quasi-impossible. En effet, quelles sont les institutions financières en Tunisie capables, aujourd’hui, d’accorder des prêts sans aucune garantie, sinon le diplôme comme l’a affirmé le Chef du gouvernement ? Les banques privées n’accepteront jamais une décision pareille qu’elles ne sont pas, par ailleurs, obligées d’y adhérer, et les banques publiques ne peuvent le faire faute de moyens suffisants, elles qui traversent déjà une période de forte turbulence ! Ensuite, qui peut trouver et mettre à la disposition de ces jeunes toute cette masse de liquidités nécessaire ? Enfin, et à supposer que l’on parvienne à résoudre les précédentes équations, une multitude d’autres questions se posent : qui va examiner la faisabilité de ces projets ? Qui va accompagner les futurs entrepreneurs ? Quels seront les projets qui seront retenus ? Ces jeunes sont-ils capables de mettre en place et de gérer des projets ? En deuxième lieu, la décision de rendre obligatoire la formation professionnelle à tout élève qui quitte prématurément l’école. Le Chef du gouvernement annonce un chiffre de 50 mille gamins. Certes, on aimerait bien que cela puisse se réaliser, mais deux obstacles peuvent freiner cette volonté. D’abord, il y a ce caractère obligatoire pas facile à mettre en œuvre. Va-t-on responsabiliser les parents ou les institutions locales, régionales, éducatives ou autres ? Le second obstacle concerne la capacité d’accueil des centres professionnels. Nos institutions de formations professionnelles peuvent-elles absorber autant de jeunes ? En troisième lieu, la mesure relative à accorder un emploi à un membre d’une famille déshéritée est tout aussi farfelue. Bien sûr, elle peut émaner d’un bon sentiment, mais avons-nous une liste de ces familles ? Comment va-t-on les déterminer ? Quels sont les critères qui seront établis ? Et qui va leur accorder cet emploi ? Pour l’administration, le recrutement des 23 mille postes est déjà prévu et il s’agira peut-être de mettre en symbiose ces deux mesures, mais cela sera insuffisant pour atteindre l’objectif souhaité. En outre, le secteur public connaît déjà bien des difficultés pour avoir cette capacité d’accéder au désir du gouvernement. Enfin, le secteur privé ne recrute que si ses besoins sont réels et ne contribuera en aucune façon à parer au chômage si sa rentabilité n’est pas garantie. En quatrième lieu, accorder une priorité à tous ceux qui effectuent leur service militaire, quoique émanant d’un bon sentiment, bute en réalité sur le principe constitutionnel de l’égalité des citoyens devant la loi. Il serait inacceptable d’introduire cette discrimination entre les demandeurs d’emploi à moins de revenir à un schéma ancien qui fait du service militaire un préalable obligatoire à l’entrée sur le marché du travail avec tout ce que cela exige comme mise en place de toute une logistique pour gérer cette nouvelle-ancienne orientation. Enfin, la mesure visant à considérer le silence de l’administration pendant un mois comme étant une réponse positive n’est point réalisable dans la mesure où l’on ne peut changer des textes avec une déclaration politique. Dans ce cas d’espèce, il s’agira de procéder à l’élaboration d’une loi pour changer les choses sans oublier que dans certaines situations, le délai d’un mois est insuffisant à l’administration pour évaluer la légalité ou la faisabilité du service sollicité par le citoyen ; et que parfois l’exécution de ce vœu dépend de l’administration, ce qui rend cette mesure inopérante ! Tout cela pour dire que ces mesures demeurent frappées par le sceau de l’improvisation comme celle, tout aussi, sinon davantage, farfelue prise pour la mise en place d’une commission nationale pour lutter contre les contrebandiers. Qui va en établir une liste, révisable, et les combattre ? Si on ne sait pas l’où on va et quel est le schéma idéal pour résoudre les innombrables défis au-devant de notre pays, et si l’on n’ose pas remettre en question les solutions toutes faites des institutions financières internationales et si on ne sort pas des sentiers battus du libéralisme sauvage et anarchique, on ne sortira pas de sitôt de l’auberge…

L.L.




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