Les proches de Mabrouk Soltani à une Française: "Nous sommes tristes pour la France. On voulait te le dire"

Les proches de Mabrouk Soltani à une Française: "Nous sommes tristes pour la France. On voulait te le dire"
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Laura-Maï Gaveriaux, est philosophe et journaliste française qui se trouve en Tunisie. Après le drame qui a frappé la famille de Mabrouk Soltani, le jeune berger décapité, elle a décidé de se rendre auprès d'eux alors que la France était déjà endeuillée par les attentats de Paris. Le philosophe a posté deux messages. Un en guise de reportage. Un reportage qui décrit la douleur mais aussi la fierté d'une famille en deuil. Un deuxième, aussi émouvant, brosse la réalité et le quotidien de ces familles aux abords des maquis terroristes.

[quote_box_center]A ‪#‎Jelma‬, chez les victimes du terrorisme

Aujourd’hui… j’ai pris une route goudronnée. Au bout de la route goudronnée, j’ai pris une route de terre. Au bout de la route de terre une piste. Au bout de la piste une maison posée là, au pied de la montagne. Il y avait l’armée, la garde nationale et l’attroupement des gens du village.

Je suis arrivée tard. J’ai l’habitude de passer après les journalistes, dans ces moments. Je ne suis pas journaliste : je suis une philosophe qui écrit dans les médias. Alors, j’attends que les télévisions et les radios soient reparties, avec leurs équipements. Je viens après, toute seule, avec mon petit carnet, mon crayon, seule, et je me présente en leur tenant la main.

Au bout de la piste, la maison. Et dans la maison, trois femmes, assises par terre. Il n’y a pas de chaises, pas de table, de toutes façons. Trois femmes, assises par terre, avec leurs voiles et leurs fichus colorés. Une jeune fille, le regard fixe, effacée. Une femme âgée, toutes rides dehors. Et au milieu, une maman… à la peau tanée de soleil et aux yeux noyés de douleur.

Mabrouk avait 16 ans.

Aujourd’hui, j’ai vu le corps sans tête d’un enfant de 16ans. Ligoté, les mains dans le dos, comme un combattant. Mais Mabrouk avait 16 ans. Aujourd’hui j’ai tenu le bras d’une mère qui a vu revenir la tête de son fils dans un sac en plastique.

Pourquoi est ce que les voisins, la famille, les cousins, pourquoi ont ils voulu m’emmener dans cette maison ? Alors que le Ministre avant moi s’est fait dégagé, alors que les journalistes tunisiens n’ont pas pu dépasser le petit talus devant la maison, et que la mère a refusé de les voir ? Pourquoi m’ont ils prise par le bras, pour m’amener jusqu’à ces femmes, pourquoi m’ont ils montré le corps, pourquoi m’ont ils gardée ?

D’habitude, j’insiste toujours : je ne suis pas journaliste. Je suis une philosophe qui écrit dans les médias. Car journaliste, c’est un métier. Tout le monde ne s’improvise pas journaliste. Et c’est bien. D’autres font un travail de journaliste, ils le font parfaitement. Certains même, que j’admire. Mais cette fois ci, je n’ai pas voulu perdre de temps avec ça.

Quand je suis partie de Celta, les hommes qui m’avaient amenée à la maison de la maman de Mabrouk m’ont pris la main. Ils m’ont souri. Je leur ai demandé : « pourquoi m’avez vous emmenée ici, et laissée entrer dans la maison ? - Tu es la seule journaliste étrangère à t’être déplacée. Et nous sommes tristes pour la France. On voulait te le dire.»

Aujourd'hui, pour une fois, j'ai bien voulu dire que j’étais journaliste.[/quote_box_center]

Et de poursuivre dans un autre message :

[quote_box_center]Chers amis, comme je pense à vous, comme je pense à nous, à ma ville, mon quartier, ceux que j'aime. Mais malgré mon envie de prendre le premier car pour Tunis, et le premier avion pour la France, je vais tenir et faire mon travail.

Ici, hier, à quelques kilomètres, un enfant de 16 ans a été égorgé devant son cousin de 14 ans. On a mis sa tête dans un sac en plastique et on a demandé à son cousin de le ramener aux parents.

Ici, dans le quartier Ezzouhour, à côté, à Feriana, on part en masse faire le djihâd, devenant un héros pour ses amis, un martyr à l'heure de la mort, et c'est toute une famille qui sent retrouver sa fierté, parce que le garçon est allé se battre sur le chemin d'Allah.

Ici, en Tunisie, des familles pleurent leurs proches toutes les semaines depuis 2011. Des bergers, des douaniers, des militaires, des jeunes, des pères et donc des enfants...

Depuis la révolution, la Tunisie se bat pour gagner sa liberté, et parfois c'est un défi incroyable, tant les rapaces sont nombreux.

Depuis les dernières élections, le pays est en tête de liste du terrorisme islamiste. A côté de la Libye, bordés de frontières, de montagnes et d'autant de maquis terroristes, les Tunisiens vivent à portée de balles du chaos.

Depuis Sousse et le Bardo, la menace est maximale et ici tout le monde le sait. On retient son souffle en espérant qu'un coup de chance permette d'éviter le prochain crash à l'aéroport de Tunis Carthage, la prochaine prise d'otage dans un grand hôtel, la prochaine bombe dans un marché... Ici on vit avec.

Et je peux vous dire que les Tunisiens démocrates souffrent avec nous aujourd'hui.

Mais c'est leur histoire que je suis venue raconter, et je crois ainsi faire ce que j'ai à faire, être plus utile ici que je ne le serai à Paris. Je sais me rapprocher ainsi du début de tout... C'est ici que le dernier développement de cette histoire mondiale à commencé. C'est en Afghanistan, en Irak, en Tchétchénie, en Libye... En Tunisie. Je me dois d'aller chercher les réponses, et je crois que c'est sur cette route que je les trouverai.

Je suis avec vous.[/quote_box_center]

Il se passe un truc entre les Tunisiens et moi depuis hier... je reçois des dizaines de messages pour me remercier d'ê... Posté par Laura-Maï Gaveriaux sur dimanche 15 novembre 2015

A.B.




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