Mille coups de fouet

Mille coups de fouet
Chroniques
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Toute ma vie, j'ai écrit entre les lignes. Induit, effleuré, sous-entendu, glissé... Ma parole et mon silence n'ont au fond pas beaucoup d'importance. Il ne cautionnent rien, puisque, de toutes les manières, je n'ai pas vraiment droit à la parole. En tous cas, pas à cette parole qui, du haut des tribunes et des plateaux, énonce des poncifs, donne des leçons et brille de tout ce qui est factice. "Regardez mon ramage"! nous supplie le beau BHL. "Admirez notre plumage"! reprend le chœur des fripouilles. "Eblouissez-vous de notre attelage"! hurle la meute des politicards qui ont réponse à tout mais ne savent ni ne font jamais rien... Si mon silence ne vaut rien, que pourrait valoir ma parole? Cette parole qui n'est que celle d'un simple individu, d'un homme sans importance collective... Ma parole n'engage que moi et si l'on me suppliciait comme Al Hallaj, crucifié pour une pétition de principe, ou Raif, livré au bourreau par une inquisition plus contemporaine, je ne sais si mille coups de fouet ou le gibet du Christ ébranleraient mes intimes convictions. Car ils sont nombreux en Tunisie et ailleurs ceux qui rêvent des calvaires que rendrait possible l'abolition du droit positif et l'adoption de la "voie prescrite", la seule qui soit licite et légitime, cette loi divine que les mouvements fondamentalistes cherchent à nous imposer par la violence de Daech et le fantasme salafiste du retour aux origines. Mille coups de fouet ne suffiraient pas à me faire renier mes convictions, défendre mes droits inaliénables et affirmer la primauté du statut personnel et de l'habeas corpus sur la soumission complète de mon individu à la communauté religieuse. Mille coups de fouet feraient de moi un martyr, cousin lointain de Copernic, Galilée, Perpétue ou Felicité... Mille coups de fouet et je serais un Témoin de tous les autres carnages, à commencer par l'abominable tuerie du Bardo, perpétrée au nom de l'intolérance la plus abjecte et la lecture la plus ignoble de ma propre religion. Devant ces dérives et ces naufrages, nous devrions clamer haut et fort notre refus de tout intégrisme. En ce qui me concerne, mon choix est clair et assumé: il se prononce comme un simple et modeste "non" à la barbarie, il se décline en un ardent "oui" au contemporain , il trouve son ancrage dans la foi en ce qu'elle nous sublime et non dans l'aveuglement fanatique des faussaires de Dieu. Hier, aujourd'hui et, si nous gagnons notre combat et assumons notre responsabilité historique, demain, aucune Tunisienne, aucun Tunisien ne subira la terrible loi du talion, le supplice sanguinaire, d'une mutilation, d'une lapidation ou d'une flagellation. Mille coups de fouet qui claquent, entament la chair, lacèrent le corps d'une constellation de blessures, tuent à petit feu, torturent jusqu'à la mort... Mille coups de fouet qui nous renvoient aux persécutions médiévales, lorsque l'Europe, juste sortie de la barbarie, écartelait sur la place publique, mettait au pilori, châtiait dans les flammes des bûchers et des autodafés. Serions-nous cette Europe de sinistre mémoire? Mille coups de fouet qui, tels une sanguinolente épée de Damoclés, pendent sur le dos meurtri de Raief. Simple individu, perdu, solitaire mais solidaire, nominalement libre mais écrasé par la masse fulminante et les fatwas sectaires je m'en indigne... Mille mots indignés sortent de ma bouche silencieuse. Mille mots contre les fouets, contre la cabale, la haine et l'intransigeance. Mille mots qui ne blessent pas mais pardonnent. Mille mots pour éponger la honte des exaltés. Mille mots que je ne prononcerais pas car vous les entendez entre les lignes de mon effroi et une espérance intacte. Mille mots, comme une litanie à l'infini, une certitude contre les dogmes, une confiance que je revêts comme on enfile une armure. Mille mots pour la passion de Raief et mille coups de fouet pour l'hydre aveugle de toutes les intolérances...



Qui cherche à harceler et démoraliser les forces de l'ordre ?

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